Opinions
Anne-Sophie Tuszynski, fondatrice et administratrice de Cancer@work, CEO de Wecare@work : « Nous devons nous mobiliser pour gagner la bataille de l’inclusion dans l’entreprise »
Sortie renforcée d’un combat intense contre un cancer du sein, Anne-Sophie Tuszynski a fondé Cancer@work et invite dirigeants et responsables RH à mieux concilier cancer, maladie grave, travail et performance des entreprises.
Publié le 19/10/2023
Au travail, en théorie, soit vous êtes bien portant et super performant, soit vous êtes en arrêt maladie et absent. Moi qui étais chasseur de tête dans un grand cabinet parisien, j’ai découvert une tout autre réalité en retrouvant mon bureau après dix mois d’un traitement lourd contre un cancer du sein. À 40 ans, j’avais des trous de mémoire, des difficultés à me concentrer et je ressentais parfois une immense fatigue.
En luttant pour ma survie, j’ai également été surprise par la solidarité sincère de mon équipe et de mes clients - une douzaine d’entreprises -, qui me téléphonaient régulièrement pour prendre de mes nouvelles. À mon retour, les DRH et les dirigeants ont continué à m’appeler. C’était de plus en plus souvent pour que je leur souffle des conseils sur la bonne manière d’accompagner une personne malade, car un salarié touché par la maladie a un impact sur son environnement professionnel. J’ai aussi été sollicitée pour conseiller des managers qui n’avaient pas toutes les clés pour répondre à ce bouleversement.
Il y avait donc un vide à combler, et comme la maladie m’a donnée l’audace professionnelle que je me refusais quand j’étais bien portante – celle d’entreprendre - j’ai créé Cancer@work. C’était en novembre 2012.
Avant de lancer l’association qui est aujourd’hui reconnue d’intérêt général, j’ai recherché en France, en Europe et dans le monde un modèle d’accompagnement des personnes malades et de leur entourage au travail. Je n’ai rien trouvé. C’est pour cette raison que j’ai créé un baromètre mesurant les attentes des actifs et l’impact des actions à l’échelle de l’entreprise et de la société. Lors de sa toute première parution en 2013, 80 % des salariés déclaraient taire leur maladie à leur employeur de peur qu’elle soit un frein à leur ascension professionnelle, voire un motif de licenciement. Lors du quatrième et dernier baromètre, en 2021, ils n'étaient « plus que » 51 % à garder le silence, preuve que les mentalités ont évolué. Toutefois, un malade sur deux continue de se retrancher derrière le secret médical, comme c’est d’ailleurs son droit le plus strict.
« Beaucoup trop de gens parlent encore de "longue et douloureuse maladie" sans oser prononcer le mot cancer. »
L’histoire de Frédérique me semble exemplaire. Après une longue interruption pour guérir d’un cancer, cette femme a perdu le poste d’assistante de direction qu’elle adorait, au siège de son groupe, pour se retrouver assistante de filiale à mi-temps. Elle m’a dit : « Je suis vivante, mais je suis morte professionnellement !». Son employeur a pourtant fait le maximum pour trouver une solution, mais cela n’a pas suffi à lui redonner confiance en elle et à la remobiliser.
La charte que nous proposons aux entreprises du secteur public comme du secteur privé est conçue pour éviter ce type d’incompréhension. En la signant, le dirigeant s’engage à libérer la parole sur la maladie. Beaucoup trop de gens parlent encore de « longue et douloureuse maladie » sans oser prononcer le mot cancer. Ouvrir le dialogue, c’est informer les collaborateurs sur les actions mises en place pour concilier cancer et travail. C’est aussi faciliter le maintien et le retour à l’emploi des personnes guéries, tout en accompagnant leurs collègues qui se retrouvent souvent assommés par la nouvelle et un surcroît de travail généré par leur départ brutal. C’est enfin construire un plan d’action personnalisé, partagé et durable. Nous avons créé Cancer@work avec six entreprises pionnières. Elles sont plus de 120 aujourd’hui à nous avoir rejointes, et représentent plus de 10 % de la population active française.
Encourager le dépistage
Avant que je ne découvre une grosseur douloureuse sous ma peau, je n’avais jamais pris la mesure de l’importance du dépistage. Le cancer du sein est le plus fréquent dans le monde, avec 2,26 millions de cas en 2020. En France, c’est le plus meurtrier avec 60 000 cas et 12 000 décès par an. Tant que l’on n’est pas soi-même concernée dans sa chair ou par la maladie d’un proche, ce sont des chiffres que l’on se dépêche d’oublier.
Dans le même temps, la recherche sur le cancer ne cesse de progresser. Il existe un vaccin contre les papillomavirus, un médicament contre certaines formes précoces du cancer du poumon et on arrive à traiter l’anomalie moléculaire responsable de la multiplication anarchique des cellules tumorales... Tous ces progrès laissent entrevoir un jour une guérison sans traumatisme, mais cet espoir immense est contredit par les prévisions des experts économiques. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) estime qu’avec l’allongement de la durée de vie, un quart des actifs sera concerné par une pathologie grave d’ici à 2025. Voilà pourquoi il nous faut nous mobiliser pour gagner la bataille de l’inclusion dans l’entreprise.
Malgré un taux de survie qui s’améliore, les cancers sont en forte progression
- En France, les nouveaux cas de cancer sont deux fois plus nombreux qu’il y a trente ans. 433 136 nouveaux cas devraient être déclarés en 2023. La hausse s’explique en partie par l’accroissement et le vieillissement de la population.
- Selon une étude de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), l’exposition à la pollution atmosphérique, à la fumée du tabac, au radon, aux rayonnement ultraviolets, à l’amiante et à d’autres polluants provoque 10 % des cancers en Europe qui pourraient donc être réduits.
- Le cancer reste la première cause de mortalité chez les hommes et la deuxième chez les femmes.
- Le cancer du sein représente un tiers des cancers féminins. Il est le plus fréquent chez la femme et la première cause de décès par cancer.
- Le cancer de la prostate est le plus fréquent chez l’homme et la troisième cause de décès par cancer, après le cancer du poumon et celui du pancréas.
- De plus en plus de personnes atteintes d’un cancer sont toujours en vie cinq ans après le diagnostic de la maladie. Si la survie s’améliore, il existe toujours de fortes disparités, selon la localisation de la tumeur.
Sources : l’Institut national du cancer (INCa), l’agence Santé publique France (SPF), le Réseau français des registres des cancers (Francim) et les Hospices civils de Lyon dans Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) du mardi 4 juillet 2023, le Panorama des cancers en France, le rapport de l’Institut National du Cancer (INCa) ainsi que dans le rapport de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE).
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