Opinions

Didier Roche, co-fondateur de l’association h’up entrepreneurs : « Nous avons mené la reconnaissance de l’entrepreneur en situation de handicap au travers de la terminologie de "travailleur indépendant handicapé" »

Devenu aveugle à l’âge de 6 ans à la suite d’un accident, Didier Roche, « serial entrepreneur » de 52 ans à l'origine des restaurants et spas Dans le noir ? d’Ethik Connection, revient sur son parcours ponctué d'obstacles qui a finalement abouti à une reconnaissance de l’entrepreneur en situation de handicap.

Publié le  24/11/2023

Depuis que l’Homme est salarié, il existe des salariés en situation de handicap. Depuis que l’Homme est entrepreneur, il existe des entrepreneurs en situation de handicap. Tout cela est bien normal, car depuis que l’Homme est Homme, il rencontre des situations de handicap. Avec la Ve République, la loi de 1975 reconnaît le citoyen handicapé. Il faudra ensuite attendre 1987 pour que cette transposition se réalise dans le monde de l’emploi privé. 

Ainsi, le législateur invente la discrimination positive en rendant obligatoire le recrutement de personnes en situation de handicap, dès lors qu’un employeur compte un minimum de 20 salariés et ce, pour 6 % de ses effectifs. Par personne handicapée manquante dans ses effectifs, l’employeur contribue à un fonds géré par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) pour financer la politique de l’emploi du handicap en France. Le législateur permet donc aux employeurs de faire de l’emploi indirect par l’achat de prestations ou de biens auprès de structures dont le taux d’emploi de salariés handicapés est important. Ces structures, les Établissement et service d'aide par le travail (ESAT) ou les Entreprises adaptées (EA), permettent à l’acheteur de déduire une partie du montant payé de sa contribution à l’Agefiph. En 2005, à l’occasion d’une nouvelle loi handicap, le législateur soumet la fonction publique à l’obligation d’emploi et crée le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la Fonction publique (FIPHFP). Celui-ci est soumis aux mêmes obligations d’emploi direct et peut recourir par la sous-traitance handicap à de l’emploi indirect au même titre que le secteur privé.

Pour autant, dans l’ensemble de ces lois il y a un oublié de taille : l’entrepreneur en situation de handicap lui-même. Et oui, si le citoyen est reconnu en tant qu’handicapé, si le monde du salariat dispose de politiques favorables à l’emploi, les travailleurs indépendants handicapés - qu’ils soient chef d’entreprise, libéral, entrepreneur de toute nature - n’existent pas dans l’ensemble de ces lois. 

Quand je crée ma première entreprise en 1995, je me heurte au scepticisme du monde bancaire et au délire du monde assuranciel. J’ai mis six mois, après de nombreux rendez-vous, avant de trouver une banque. Elle m’a accepté en m’imposant des conditions qu’elle n’exigeait à personne d’autre ! Est ensuite arrivé le moment de s’assurer, notamment afin d’obtenir une prévoyance pour ma personne. Ce fut le même marathon conclu par un contrat complètement délirant : 30 % de majoration et tout un tas d’exclusions au libre arbitre de la personne qui, en cas de sinistre, allait m’imposer une prise en charge ou non. Humilié, blessé dans ma dignité, j’ai signé le contrat. Heureusement du temps est passé et ces pratiques ne sont plus légion.

En 2007, je lis une étude sur l’entrepreneuriat en France et je découvre que déjà, à l’époque, étaient recensés 35 000 entrepreneurs en situation de handicap. Je n’avais toujours pas digéré ce que l’on m’avait imposé parce que j’étais juste un citoyen entièrement à part et non à part entière de leur point de vue. Je décide donc d’appeler des amis entrepreneurs handicapés pour monter un mouvement qui deviendra l’association h’up entrepreneurs (dont je quitte la présidence en 2020) et Linklusion, une entreprise de l’économie sociale utile et solidaire (ESUS) dans le secteur, donc de l’économie sociale et solidaire (ESS).

Outre la mise à disposition de différentes formes d’accompagnement de l’entrepreneur en situation de handicap, nous avons mené des combats politiques et obtenu la reconnaissance de l’entrepreneur en situation de handicap au travers de la terminologie de « travailleur indépendant handicapé » (TIH) dans la loi Macron du 7 août 2015, près de trente ans après la loi de 1987. Cette reconnaissance élargit le champ de la sous-traitance handicap et permet une nouvelle forme d’emploi indirect. Ainsi, tout employeur soumis à l’obligation d’emploi, privé ou public, dès lors qu’il sous-traite à un TIH (chef d’entreprise, micro-entrepreneur, libéral, mandataire de sociétés telles que président au directeur général de SA/SAS) peut déduire une partie de la facture de sa contribution à l’AGEFIPH ou au FIPHFP au même titre qu’il le ferait pour un achat auprès d’un ESAT ou d’une EA.

Une autre victoire obtenue est dans le champ de la commande publique où, désormais, les TIH entrent dans la catégorie des clauses sociales au même titre que les ESAT et les EA. 

En 2018, nous avons créé les Trophées h’up entrepreneurs qui récompensent le succès de ces entrepreneurs issus de la diversité. Devenu un temps fort dans le monde du handicap, la 6e édition se tiendra le 15 novembre 2023 au Carreau du temple, à Paris. 

Chers lecteurs, si vous êtes en situation de handicap et que l’entreprenariat vous tente, des structures et des réseaux sont là pour vous accompagner, n’attendez plus pour donner vie à vos rêves.
 

Encadré : Les dates clés de l’emploi des personnes en situation de handicap

 

  • 1987. La loi du 10 juillet instaure l’Obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH). Les entreprises de plus de 20 salariés sont tenues d’embaucher au moins 6 % de travailleurs handicapés. 
  • 1990. La loi du 12 juillet est promulguée pour protéger les personnes contre les discriminations en lien avec leur état de santé ou leur handicap. 
  • 1991. Une loi favorise l’accessibilité aux personnes handicapées des locaux d’habitation, des lieux de travail, ainsi que des structures accueillant du public. 
  • 2005. La loi du 11 février définit pour la première fois la situation de handicap tout en imposant un principe d’égalité dans tous les domaines de la société, y compris l’emploi. La même année sont créés le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) et les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
  • 2006. L’ONU adopte une nouvelle convention pour les droits des personnes handicapées. 
  • 2015. La loi du 7 août reconnaît l’entrepreneur en situation de handicap en tant que travailleur indépendant handicapé (TIP).
  • 2018. La loi du 5 septembre décrète le droit à la liberté de choisir son avenir professionnel. La nomination d’un référent handicap dans les entreprises de plus de 250 salariés devient obligatoire. La même année sont créés les Trophées h’up entrepreneurs qui récompensent les succès des entrepreneurs issus de la diversité. 
  • 2020. L’Obligation d’emploi des travailleurs handicapés est renforcée. Toutes les entreprises, y compris celles de moins de 20 ?salariés, doivent déclarer leurs actions en faveur de l’emploi des personnes handicapées. 

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