Tribune
Elisabeth Moreno, ex-ministre de l’Égalité femmes-hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances : « L’entreprise est l‘espace du collectif par excellence »
L’entreprise n’échappe pas aux mutations de notre époque et son défi le plus important est celui-là : remettre l’Humain au centre de ses préoccupations afin de garantir sa pérennité.
Publié le 29/06/2023
J’ai passé trente ans de ma vie dans le monde de l’entreprise. J’en ai créées, j’en ai dirigées et j’en ai administrées. Ce dont je me souviens particulièrement, avec le recul, ce ne sont pas les performances financières que j’ai réalisées, même si elles sont un fondamental de l’existence de l’entreprise. Ce dont je me souviens, ce sont les personnes que j’y ai rencontrées. Celles avec lesquelles j’ai traversé des épreuves, remporté des victoires et dont certaines sont devenus des amis de plus de vingt ans. C’est la force de nos différences qui nous a permis de créer, d’inventer, d’innover et de performer. Et c’est la confiance que nous avons développée dans un respect et une considération mutuels qui nous a permis de réussir, ensemble.
L’entreprise est l’espace du collectif par excellence. Elle réunit un groupe d’hommes et de femmes qui agissent dans un objectif commun : la faire prospérer. Une communauté d’individus qui, en dehors du noyau familial, est l’une des cellules de base de notre société. En tant que telle, l’entreprise peut devenir un espace de liberté, de créativité et de réalisation de soi, à condition que les principes fondamentaux de l’inclusion y soient réunis et que l’on se sente en sécurité, respecté et considéré pour ce que l’on est, indépendamment de son apparence physique, de son origine culturelle ou sociale et de son orientation sexuelle ou identité de genre.
Connecter les enjeux de l’entreprises au sort des femmes et des hommes qui la composent afin de mieux performer est ainsi devenu une priorité stratégique régulièrement mentionnée par les chefs d’entreprises qui ont compris que dorénavant, outre la pression de la performance financière qui pèse sur leurs épaules et celles de de leurs équipes, il leur incombe d’insuffler du sens au travail de tous et de redonner de la place à chacun dans toute sa singularité. C’est pourquoi, pour bâtir des entreprises adaptées aux réalités du XXIe siècle, et au-delà des exigences réglementaires de la Responsabilité Sociale des Entreprises, une grande majorité de dirigeants a décidé d’intégrer les sujets de diversité, d’équité et d’inclusion au cœur de leur stratégie de croissance.
L’inclusion constitue une véritable opportunité de faire face à ce monde en pleine transformation. Elle devient un réel catalyseur de performance, d’innovation et d’engagement, et offre des avantages compétitifs non négligeables lorsqu’elle est pratiquée avec intelligence et authenticité par ses leaders. Il ne s’agit pas d’établir un énième rapport extra-financier nécessaire au bilan annuel, ni d’effectuer une opération de communication ou de marketing, mais d’engager une organisation à réfléchir ensemble à une politique de responsabilité sociale et environnementale des plus vertueuses qui soit ; de penser à la manière de rendre l’organisation la plus inclusive possible dans l’intérêt de toutes et de tous.
C’est pourquoi j’aimerais remercier l’équipe de Pôle emploi pour son invitation à célébrer ce Mois des Fiertés avec celles et ceux qui ont la possibilité de faire évoluer la situation des personnes LGBTQIA+ non seulement en tant que salariés au sein de l’Établissement, mais aussi auprès des milliers de demandeurs d’emplois concernés par ce sujet.
Lorsque je suis arrivée au gouvernement, le 6 juillet 2020, je n’avais pas conscience de l’ampleur des discriminations à l’encontre des personnes LGBT+. Beaucoup de progrès avaient été réalisés depuis la dépénalisation de l’homosexualité en 1982, l’adoption du Pacte civil de solidarité (PACS) en 1999, l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe en 2013 ou encore l’interdiction des thérapies de conversion que j’ai portée en 2021. Autant d’étapes qui constituent des avancées conquises de haute lutte.
En tant que dirigeant, responsables des ressources humaines, managers ou contributeurs individuels, vous avez chacune et chacun le pouvoir d’initier le changement et de créer un environnement de travail inclusif ou chacun peut s’épanouir et donner le meilleur de lui-même indépendamment de son lieu de naissance, de son milieu social, de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. Bien sûr, les entreprises seules et les employés isolés ne peuvent trouver des solutions à ce travail d’ampleur. C’est la combinaison des efforts coordonnés entre l’État, les entreprises et les associations qui peut favoriser l’atteinte de ce noble objectif. Les politiques publiques se nourrissent du tissu associatif et du monde socioprofessionnel pour transformer notre pays. Chacun peut y prendre part, à la hauteur de ses valeurs, de ses envies et de ses idéaux.
L’éducation, la formation et la sensibilisation à la diversité humaine sont essentielles et je salue chaleureusement les actions structurelles des associations qui réalisent un travail extraordinaire pour sensibiliser les entreprises sur ce sujet. La reconnaissance des droits et l’accès à l’égalité réelle et concrète des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenre sont un long combat et j’espère que ces échanges marqueront une nouvelle étape dans l’engagement de Pôle emploi envers celles et ceux qui souffrent encore de trop nombreuses discriminations. Ces discussions sont d’autant plus importantes qu’elles permettent de mettre en exergue l’importance du rôle des managers dans le processus d’amélioration de la diversité et de l’inclusion au sein de l’entreprise. Sans leur ouverture d’esprit et leur implication, aucun progrès n’est possible, quelle que soit l’organisation. Parce qu’ils jouent un rôle important dans les transformations de notre société en général et dans la lutte contre toute forme de discriminations en particulier, il convient d’accompagner les managers afin de leur permettre d’adresser ces sujets avec sérénité lorsque nécessaire. Tout comme ils sont garants des performances économiques et financières de leurs organisations, ils doivent garantir le bien-être des salariés avec lesquels ils collaborent au quotidien.
Est-il acceptable qu’en France, en 2023, selon l’association L’Autre Cercle, près d’un tiers des personnes LGBT+, soit 31 %, se déclarent déprimées ou malheureuses dans leur environnement de travail, et que près de la moitié d’entre elles craignent de faire leur coming-out au sein de leur milieu professionnel ? C’est également la raison pour laquelle ce genre d’échanges au sein de l’entreprise est important : il permet à l’organisation de témoigner de son engagement sur la cause des personnes LGBT+, d’affirmer ses valeurs d’inclusion et d’encourager ses salariés à être eux-mêmes sans risque de discrimination.
Je fais partie d’une génération de managers qui excluaient les questions de la vie privée de la sphère professionnelle. Mais le monde a considérablement évolué et aujourd’hui, le travail s’invite dans nos vies privées comme le privé s’invite dans notre sphère professionnelle. Il suffit de constater la quête de sens des salariés, et des plus jeunes en particulier, qui ne se contentent plus de rechercher un bon poste et une bonne rémunération, mais un lieu où leur vie privée et leurs valeurs les plus intimes sont reconnues, respectées, préservées, voire valorisées afin de leur permettre d’assouvir pleinement leur soif d’impact dans le monde.
De nos jours, ne pas considérer l’individu dans son entièreté, dans sa globalité et dans la complexité de son existence, c’est au mieux, risquer de perdre des talents, au pire s’exposer à des risques de procès ou encore se retrouver dans le flux de l’actualité avec tout l’impact que cela peut engendrer pour l’institution ou l’entreprise concernée. Dans une action de service public, les conséquences peuvent-être particulièrement néfastes du fait même de sa mission.
Dès lors qu’un employé ne peut être qui il est vraiment, l’énergie qu’il déploie à jongler avec la vérité l’empêche d’exploiter son plein potentiel. Cette personne y perd une partie de sa productivité, peut-être de son talent et certainement de son engagement. Et l’entreprise en sort aussi perdante. Des comportements aussi néfastes que la crainte de dévoiler son identité de genre ou la nécessité de s’inventer une vie de couple hétérosexuelle ajoutent fatalement une charge mentale au salarié et impacte nécessairement sa productivité.
Je veux croire que chacun et chacune d’entre vous ayant la responsabilité d’équipes partout en France ne peut se résoudre à cette situation. Dès lors que vous avez la responsabilité du bien-être d’autres êtres humains, au sein de votre organisation, il est essentiel de s’arrêter de temps à autre et d’évaluer la situation dans vos équipes parce que du bien être de ces personnes dépendent votre performance, votre efficacité et votre durabilité en tant que leaders.
C’est grâce à ce genre de mobilisation, de détermination et d’engagements humanistes que peut être, un jour, un adolescent ne sera pas horrifié en réalisant qu’il éprouve une attirance pour une personne du même sexe ; qu’une personne trans n’aura pas à se prostituer parce qu’il ne trouve pas d’autre emploi pour vivre dignement ; qu’une femme lesbienne pourra fonder sa famille et vivre de manière épanouie ; qu’un couple gay pourra s’embrasser dans la rue sans risquer de se faire agresser…
Bien sûr, nous avons besoin des entreprises pour réaliser cet idéal. Non pas des personnes morales mais des personnes physiques, des leaders inspirants qui incarnent les valeurs qu’ils prônent. Des leaders qui soient fiers de porter ces valeurs, qui les expliquent et qui embarquent les autres dans leurs engagements. Ces leaders-là changeront le monde, car je suis convaincue qu’en ces périodes de mutation majeure de nos sociétés, l’entreprise jouera un rôle essentiel et aura un impact important. De multiples études très sérieuses l’ont déjà démontré.
C’est en s’engageant non seulement à l’occasion du Mois des Fiertés, mais également tous les jours de l’année, en partageant vos bonnes pratiques, en prenant des décisions telles que le mentorat, en dialoguant, en dénonçant les discriminations dont vous êtes témoin, que vous inciterez d’autres personnes hésitantes ou récalcitrantes à suivre l’exemple. À commencer par vos Comex et Codir puisque l’exemple doit venir du haut : c’est ce que j’appelle le cercle vertueux de la dignité humaine. Les intentions ne suffisent plus. Seules les actions concrètes peuvent conduire aux transformations souhaitables dans nos sociétés contemporaines. Ce sont aussi les engagements exemplaires de dirigeants et responsables managériaux, des ressources humaines et des contributeurs individuels qui peuvent contribuer à rendre ce monde meilleur et plus désirable. Nous permettre de vivre en meilleure santé, de créer des synergies nouvelles, de stimuler nos performances et faciliter notre capacité à mieux vivre ensemble.
Et pour ce faire, le sujet des discriminations doit descendre de la tête vers le cœur. Car nous ne changeons pas le monde avec nos connaissances mais avec nos croyances et nos habitudes. Changeons ces croyances et ces habitudes, et nous transformerons positivement ce monde !
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La question est volontairement provocante mais dit bien la transformation fondamentale en cours dans le monde de l’entreprise. Changement du rapport au travail, diffusion du télétravail, aspirations au sens et à l’utilité, priorité à l’individualisme et à l’épanouissement personnel, refus de la carrière linéaire, modification du rapport de force employeurs-employés, accélération technologique : l’entreprise est fragilisée dans son espace-temps (tout le monde ne travaille plus en même temps, dans le même lieu) et percutée de tous côtés dans sa forme traditionnelle.
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