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« Chacun, femmes comme hommes, a un rôle à jouer dans la transformation de l’industrie »

Démystifier l’industrie, réfuter les stéréotypes associés aux métiers de ce secteur et donner aux femmes toutes les cartes pour s’y faire une place : tel est le pari des Meufs de l’Industrie, un média à impact, fondé sur la volonté de casser les codes. Marion Garcia, fondatrice du média nous explique sa démarche.

Publié le  21/11/2024

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Quel cheminement vous a conduit à co-créer Les Meufs de l’Industrie ?

Marion Garcia : Tout a commencé par un simple constat qui nous a conduits, avec Héléna Jérôme, fondatrice de la startup Safehear* et Nicolas Maury à nous questionner : pourquoi croise-t-on si peu de femmes dans l’industrie ? Elles ne composent que 28 % des effectifs de ce secteur et sont rares dans les fonctions techniques. Nous avons réfléchi aux moyens de leur faire aimer l’industrie en créant une page LinkedIn et une autre sur Instagram. Notre objectif était de donner la parole aux femmes de l’industrie, qu’elles soient techniciennes, opératrices ou ingénieures, avec l’idée d’en faire des « rôles modèles », des personnes inspirantes qui pourront susciter des vocations chez d’autres femmes. La FrenchFab a été la première entité à nous faire confiance et à nous donner les clés de son compte Instagram pour réaliser des reportages sur divers événements et dans les usines labellisées.

Lors de vos différentes rencontres, quelle image de l’industrie vous renvoient vos interlocuteurs ?

M. G. : Chez les jeunes comme auprès du grand public, l’industrie souffre d’une représentation archaïque. Le secteur fait naître des images associées aux romans d’Émile Zola, au film de Chaplin « Les temps modernes », à la saleté, au bruit et à des conditions de travail pénibles. Or, entre cette vision « misérabiliste » et la réalité, il existe un véritable fossé. Le personnel évolue dans des univers propres, automatisés, avec une alliance harmonieuse entre humains et machines. L’industrie de nos jours, se distingue par un haut niveau de savoir-faire et de technicité. Elle a besoin de gens qualifiés et motivés. Autrefois la mécanique et les voies technologiques constituaient des voies de garage pour des élèves aux résultats scolaires insatisfaisants, aujourd’hui ces métiers doivent relever d’un véritable choix.

Comment aimeriez-vous contribuer à ce changement de perspective ?

M. G. : Notre idée, c’est de donner à voir la réalité du secteur industriel, et de balayer l’idée de métiers dits masculins ou féminins. Nous aimerions que dès l’école primaire, les filles ne se ferment pas de portes. C’est notre plus grand combat, et nous souhaiterions être rejoints par les parents et les enseignants pour leur dire : « vous êtes capables de tout ». Nous essayons de porter cette parole forte : « nous sommes à notre place et nous ne devrions pas avoir à le prouver ». C’est d’autant plus important que de nombreuses femmes ont l’impression de devoir justifier leur présence et se faire valider par leurs homologues masculins. On se retrouve face au syndrome de l’imposteur et à celui de la bonne élève : certaines se sentent obligées d’atteindre l’excellence pour mériter la confiance. Une autre difficulté réside dans le manque de représentativité dû au faible nombre de modèles féminins. Il faut créer une passerelle entre toutes les femmes et s’assurer que les hommes soient prêts et disposés à accueillir les femmes dans leurs équipes pour leur donner envie de rester et les inciter à évoluer.

« Notre idée, c’est de donner à voir la réalité du secteur industriel et de balayer l’idée de métiers dits masculins ou féminins »


C’est le rôle des Meufs de l’Industrie ?

M. G. : Oui, notre mission consiste à démystifier le secteur industriel et à réfuter les stéréotypes grâce à des témoignages authentiques de femmes sous formes de portraits vidéo. Nous multiplions les actions et les canaux de communication avec l’espoir que la présence féminine dans l’industrie ne soit plus une exception.

Nous voulons raconter de belles histoires à l’image de celle d’une femme qui avait achevé ses études pour être experte canine. Elle s’est retrouvée un peu par hasard dans l’industrie aéronautique, pour réaliser un job d’appoint afin de pouvoir financer son projet d’ouverture d’une boutique pour chiens. Dix ans plus tard, elle est toujours dans le même secteur, passionnée par son travail. J’aimerais citer un autre exemple, qui fait l’objet d’une de nos publications sur Instagram, sous le titre « Mon fabuleux destin » : Celia, en alternance en BTS de chaudronnerie nous raconte comment, après un Bac général et des études non techniques, elle a décidé de se réorienter vers un PAI (préparation aux métiers de l’industrie). Après avoir testé les métiers d’électricien et d’usineur, elle a découvert celui de chaudronnier, et elle dit « s’éclater dans son travail ».   

« Nous multiplions les actions et les canaux de communication avec l’espoir que la présence féminine dans l’industrie ne soit plus une exception. »


Quelles sont les spécificités de votre média ?

M. G. : C’est un média jeune créé par des jeunes (personnellement, j’ai moins de 25 ans) pour parler à des jeunes, en utilisant leur langage et leurs codes. Nous avons lancé notre première vidéo en février 2022. Les Meufs de l’Industrie sont devenues une entreprise et un média indépendant depuis février 2024. Il nous a semblé logique d’y consacrer des ressources et du temps tout en professionnalisant notre démarche.

Nous avons décidé de prendre le contrepied d’un discours Corporate. Autrement dit, de nous démarquer de la communication classique du secteur industriel, qui s’adresse à des personnes y travaillant déjà. De notre côté, nous cherchons à attirer de nouvelles recrues avec un travail très professionnel qui met en valeur la sincérité des témoignages qui semblent pris sur le vif. Grâce aux liens privilégiés que nous créons avec les personnes interviewées, nos contenus ont un ton unique et authentique. Outre nos vidéos volontairement courtes de femmes avec un focus sur un métier, nous participons à des événements tels que BIG, Global Industrie, Eurosatory,… Nous y recueillons des images concrètes des univers industriels. Nous sommes mandatés par des entreprises, des collectivités ou des salons pour réaliser une couverture médiatique. Les différents échanges nourrissent nos idées qui sont donc issues du terrain.

Quels sont les attentes des entreprises qui s’adressent à vous ?

M. G. : Des DRH nous demandent un accompagnement car ils peinent à recruter tandis que des responsables de communication cherchent une solution face à un manque d’attractivité de l’entreprise. C’est à eux d’identifier les talents que nous allons ensuite interviewer et filmer. Nous mettons tout en œuvre pour que les personnes qui acceptent de se prêter au jeu soient mises en confiance. Cela doit rester un bon moment pour ces femmes qui prennent du temps pour nous parler, nous montrer leur métier au quotidien et inspirer des vocations. Je commence toujours par échanger avec la personne pressentie et je suis étonnée par une réflexion très courante : de nombreuses femmes expriment spontanément le fait qu’elles n’ont rien à raconter, et que ce qu’elles font n’a rien d’intéressant. Bien entendu, c’est faux, elles ont beaucoup de choses à dire. Aujourd’hui, je peux montrer plus d’une quarantaine de portraits de femmes qui racontent leur parcours et le plaisir d’exercer leur métier. Nous sommes fiers car nous avons réuni une belle communauté de femmes très investies, qui font preuve d’une grande solidarité entre elles.

Quel est le bilan à date des Meufs de l’Industrie ?

M. G. : Tous réseaux sociaux confondus, nous comptabilisons plus de 10 000 personnes et avons accompagné plus d’une trentaine d’entreprises et de collectivités. En plus des couvertures événementielles, nous proposons des accompagnements et des consultings à des PME ne disposant pas de services de communication et à des grands groupes désirant un peu de fraîcheur. Dans tous les cas, il s’agit de faire évoluer la communication pour une meilleure correspondance avec leur cible grâce à notre regard extérieur et proche du terrain. Ces entreprises font appel à nous pour quatre enjeux majeurs : le recrutement, l’attractivité, l’image et la féminisation. Nous sommes à présent reconnus pour cette niche que nous avons créée presque à notre corps défendant et pour notre communauté, toujours au rendez-vous et en constante progression.

Quels sont vos projets pour renforcer vos résultats actuels ?

M. G. : Nous voulons continuer de grandir, multiplier les témoignages pour renforcer l’impact sur les jeunes et mettre en avant notre côté fédérateur. Nous envisageons par ailleurs d’intervenir sur le leadership, afin d’encourager l’ « empowerment » au féminin. Actuellement, nous travaillons avec le Medef sur un projet destiné à inciter les femmes à prendre en main leur carrière, à ne plus avoir peur d’accepter une opportunité, voire à se positionner clairement.

Plus globalement, quels seraient selon vous, les leviers à activer pour féminiser le secteur de l’industrie ? Et pourquoi est-ce important ?

M. G. : L’école a un rôle immense à jouer, avec des programmes scolaires qui montrent l’évolution entre les débuts de l’industrie et son environnement actuel. Nous croyons aussi au pouvoir de la médiatisation pour valoriser les métiers et les univers auprès du grand public.

Alors que la France s'engage dans une dynamique de réindustrialisation tout en faisant face à des défis de recrutement, il est essentiel de rappeler que les métiers de l’industrie offrent des opportunités pour tous et que chacun, femmes comme hommes, a un rôle à jouer dans cette transformation. Pourquoi se priver du potentiel de la moitié de la population ? De nombreuses études montrent que des équipes mixtes sont plus performantes. Les femmes apportent de la créativité, des idées, elles participent à la dynamisation du secteur. C’est aussi et surtout une question d’équité et d’égalité des chances.

 


* startup hardware qui conçoit et fabrique « LOUIS », un boîtier directement connecté aux protections auditives des opérateurs qui leur permet de communiquer en environnement bruyant tout en restant protégé des risques auditifs.