Article

L’isolement des salariés sourds et malentendants : une fatalité ?

Leur handicap leur vaut parfois d’être incompris, voire mal jugés. Pas si simple pour les déficients auditifs de travailler dans de bonnes conditions. Pour eux comme pour leur entourage, des solutions pour une meilleure inclusion existent pourtant. Retour sur ces pistes développées lors du colloque Emploi et surdité, organisé par Infosens.

Publié le  29/08/2024

Olivier, 50 ans, est en conflit avec son chef de service qui lui reproche, dit-il, « de ne pas l’écouter assez et d’avoir une attitude bizarre ». Une situation douloureuse pour ce cuisinier sourd profond à la suite d’un accident de mobylette survenu à l’adolescence. La pose d’un implant, il y a cinq ans, lui permet de communiquer oralement, à condition toutefois que son interlocuteur lui parle lentement.

Dans l’espoir de sortir de cette impasse et parce qu’il aime son métier par-dessus tout, Olivier s’est inscrit au colloque Emploi et surdité organisé par Infosens, à l’Institut national de jeunes sourds de Paris. Au contact des spécialistes réunis par le centre public d’appui et d’expertise en surdité Infosens, Olivier a constaté qu’il était loin d’être un cas isolé. Et que de nombreuses solutions existent pour assurer le bien-être de tous les salariés, qu’ils soient malentendants ou entendants.

L’affaire de tous

« Devenir sourd provoque une perte de repères de soi qui peut aller jusqu’au sentiment d’être inexistant, inutile », explique la psychologue Lisa Baudet. « Les personnes sourdes peuvent donner l’impression d’être impolies, maladroites, étranges, voire dépressives parce que ce handicap est invisible. Les sourds ont du mal à en parler, ils n’ont pas envie d’inspirer un sentiment de pitié ni d’être réduits sur le plan identitaire à leur handicap. »

Pour cette spécialiste de la surdité évolutive, une prévention systématique dans les entreprises et auprès des familles permettrait d’expliquer aux entendants les enjeux psychiques auxquels sont soumis les déficients auditifs, qui sont de plus en plus jeunes. Le but : adopter les bons comportements, comme bien articuler, parler lentement et ne pas s’adresser aux personnes sourdes à contrejour afin de faciliter le déchiffrage du mouvement des lèvres.

Deux mille aides techniques

Claire Magné, qui a travaillé aux côtés de sourds et de malentendants dans différents établissements, reconnaît que « cela ne s’est pas toujours bien passé ». Elle se souvient, par exemple, d’une personne en poste dans un open space. Cette dernière avait déménagé elle-même son bureau pour le coller contre un mur, afin de s’isoler de ses collègues.

Aujourd’hui Claire Magné est ergothérapeute au sein d’Escavie, un centre de ressources dédié au handicap et à l’autonomie qui dépend de la Caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France (Cramif). Elle pratique la langue des signes française (LSF) et peut ainsi recevoir des salariés en déficience auditive qui souhaitent un aménagement de leur poste. Tous sont invités à décrire précisément leur environnement de travail, leurs difficultés au quotidien et leurs attentes. À la clé : une solution pour maintenir leur emploi, dans de bonnes conditions.

Escavie dispose dans ses locaux d’espaces d’exposition où sont rassemblées 2 000 aides techniques mises au point pour compenser une déficience physique, sensorielle ou cognitive. Tous ces outils sont mis à disposition par les fabricants ou, plus rarement, achetés par la Cramif. Une cinquantaine d’entre eux est conçue pour pallier un déficit d’audition : cubes lumineux reliés au bouton d’appel d’une sonnette, microphones additionnels, boîtiers vibrants ou bracelets composant des impulsions successives, casques capables d’isoler une seule source sonore dans environnement bruyant ou encore, iPhone « intelligent », qui détecte des sons et retranscrit leur origine… « Quand on reçoit une personne sourde ou malentendante, on lui explique ces aides techniques afin qu’elle se projette dans son propre univers professionnel. Une fois la solution trouvée, elle la teste en situation réelle dans son entreprise », conclut Claire Magné.

Langue des signes à la demande

La technologie a également facilité le rapprochement entre Cap emploi et France Travail, acté en 2020. Désormais, les conseillers des deux réseaux accompagnent les candidats à l’emploi en situation de handicap en un lieu unique : leur agence France Travail. Toutes sont équipées de l’application Elioz, qui permet de faire appel à un interprète en langue des signes pour traduire un entretien entre un demandeur d’emploi sourd et un employeur.

« Notre rapprochement avec France Travail a modifié en profondeur notre manière de procéder », détaille Eric Persello, responsable d’équipe à Cap Emploi Paris. Ici, 8% des personnes prises en charge viennent pour des problèmes auditifs. « France Travail assure toutes les inscriptions et une grande partie du suivi dans les Teams Handicap. Nous prenons la main lorsque le retentissement du handicap est le plus important, quand il y a besoin de mobiliser des acteurs spécifiques pour un accompagnement. »

Libérer la parole pour trouver des solutions

Plus de 300 participants ont été réunis par Infosens, qui accompagne les employeurs publics et privés afin d’améliorer l’inclusion et le maintien dans l’emploi des personnes sourdes.

Au programme : la reconnaissance du handicap par la personne en souffrance auditive, par ses collègues et par son employeur. Et l’adaptation de son environnement de travail par des aménagements de poste. Une psychologue, une ergothérapeute, un responsable d’équipe à Cap emploi, un membre du Fond pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), deux référents handicap (dans le public et le privé), ainsi qu’une référente insertion professionnelle de la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) de Paris et un responsable de l’accessibilité numérique se sont succédé à la tribune.

Pour Bénédicte André, cheffe de service de la structure Infosens : « Ce colloque a été une expérience riche et inspirante. Des salariés sourds ont pu exprimer leurs difficultés au travail. Et découvrir l’ensemble des aides humaines, techniques ou numériques mises à leur disposition par les organisations publiques et privées pour leur bien-être et celui de leurs collègues. »


La surdité en 3 chiffres :

  • Un bébé sur mille naît sourd ;
  • Un adulte sur quatre souffre d’un trouble de l’audition ;
  • 7 millions de personnes sont concernées par la surdité, qu’elle soit légère, moyenne, sévère ou profonde.