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« La reconversion professionnelle est la pierre angulaire de l’égalité professionnelle »

L'ambition de l'association Social Builder est de mettre en œuvre l'égalité professionnelle en accompagnant la reconversion des femmes dans les métiers porteurs du numérique. Pour sa présidente et fondatrice, Emmanuelle Larroque, leur présence dans ce secteur est un élément clé pour la croissance économique des territoires. Rencontre.

Publié le  11/03/2024

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Pourquoi la reconversion professionnelle est-elle au cœur du projet de Social Builder ?

Emmanuelle Larroque : Depuis notre création en 2011, nous considérons la reconversion professionnelle comme la pierre angulaire de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Alors que chaque individu est amené à changer de métier entre six et neuf fois dans sa vie et que la transformation numérique s’accélère, il existe une vraie opportunité à accompagner la reconversion des femmes dans ces métiers en fort développement, où elles sont encore sous-représentées.

Historiquement, elles sont peu incitées à choisir des carrières techniques en raison de stéréotypes sur les compétences masculines et féminines. La raison d’être de Social Builder est aussi de faire évoluer ces représentations.
 

Peut-on chiffrer la présence des femmes dans le numérique ?

E. L. : En France, les femmes ne représentent que 28 % des salariés dans le domaine du numérique. Si l'on exclut les fonctions support, ce chiffre chute à 18 %. Pourquoi se priver de ce vivier de talents ? Selon les données du Plan France 2030, plus de 400 000 emplois vont être créés dans des secteurs stratégiques où la composante numérique est essentielle. Avec les 80 000 postes continuellement ouverts dans le domaine du numérique aujourd'hui, on peut envisager l'immense potentiel que ces nouvelles opportunités offrent aux demandeuses d'emploi. 
 

Les entreprises avec une plus grande diversité, notamment au sein de leur comité de direction, surpassent de 30 % leurs homologues moins diversifiées en termes de performances financières.


C’est donc une chance à saisir sur les territoires ?

E. L. : Effectivement. Intégrer les femmes dans le domaine numérique va au-delà de la simple question de l'équité, c'est une nécessité économique qui permet d’accompagner le développement de la filière tech dans les territoires. La diversité favorise l'innovation au sein des entreprises et la création de richesses. Des études, telles que celle récente de BlackRock, démontrent que les entreprises avec une plus grande diversité, notamment au sein de leur comité de direction, surpassent de 30 % leurs homologues moins diversifiées en termes de performances financières.

Les entreprises qui font ce choix participent ainsi à la croissance et à l’attractivité de leur territoire dans un contexte de transformation numérique. Il ne s'agit pas seulement d'exploiter pleinement les talents disponibles, mais aussi de bénéficier de perspectives et d'approches variées qui enrichissent le processus de création et d'innovation. Bien que cela demande un accompagnement et un travail sur la culture organisationnelle, les avantages sont indéniables.
 

Observe-t-on des disparités entre les territoires ?

E. L. : L'Île-de-France, en tant que premier bassin d'emploi sur les métiers du numérique, offre davantage d'opportunités sur des métiers en tension grâce à ses initiatives de féminisation des métiers du numérique. Cependant, dans d'autres régions - surtout celles où le tissu économique repose sur les TPE-PME qui sont « moins outillées » sur le plan RH -, le recrutement de profils numériques féminins est plus complexe malgré une demande existante. Des efforts sont déployés pour combler ces écarts, notamment dans des agglomérations comme Lyon, Bordeaux, ainsi que dans les régions des Hauts-de-France et de l'Occitanie, pour promouvoir l'inclusion numérique des femmes. 
 

Comment Social Builder aborde-t-elle ces enjeux ?

E. L. : Depuis douze ans, nous avons accompagné 80 000 femmes, en agissant sur trois dimensions. Nous les sensibilisons aux opportunités offertes par les environnements numériques et créons de la désirabilité afin de leur donner envie de découvrir ces métiers. Nous leur offrons la possibilité de suivre des formations courtes pour acquérir rapidement de nouvelles compétences et accéder à des opportunités professionnelles.

Ensuite, nous intervenons dans la mise en relation et l'accompagnement en entreprise. Cette approche intégrée, ce parcours sans couture se traduit par des résultats concrets et des impacts forts, car nous veillons à ce que les femmes ne perdent pas de vue leur objectif de reconversion, même si le processus peut être long. L'accès à l'emploi par un accompagnement individualisé articulé à de la formation fonctionne très bien dans les métiers numériques et techniques.
 

Social Builder veille à sensibiliser tous ses partenaires aux pratiques de la mixité et de l'inclusion afin de favoriser l'accueil et le maintien dans l’emploi des femmes


Votre modèle est également partenarial ? 

E. L. : Oui, notre action repose également sur des partenariats solides. Depuis douze ans, nous collaborons étroitement avec des acteurs de l'emploi tels que France Travail, initialement en Île-de-France, puis dans d'autres régions telles que l'Auvergne-Rhône-Alpes et la Nouvelle-Aquitaine. Nous travaillons également en partenariat avec les entreprises sur les territoires pour adapter les métiers en tension, offrant ainsi de réelles opportunités d'insertion ou de reconversion pour les femmes.

De plus, nous collaborons avec des organismes de formation technique pour dispenser des formations aux femmes. Par le biais de la formation, Social Builder veille à sensibiliser tous ses partenaires aux pratiques de la mixité et de l'inclusion afin de favoriser l'accueil et le maintien dans l’emploi des femmes. Nous faisons partie de ces acteurs qui créent les conditions pour fluidifier le système, de sorte à ce qu’une vraie rencontre s’opère entre les femmes et les entreprises du numérique. 
 

Avec France Travail, vous travaillez notamment dans le cadre du nouveau projet Féminisons les Métiers d'Avenir (FEMA)…

E. L. : En effet, avec France Travail et l’APEC, nous collaborons dans le cadre du programme FEMA, visant à accompagner 15 000 femmes sur cinq ans dans 12 régions vers des métiers et des filières de l'industrie du futur, de la construction durable, de l'énergie et de la cybersécurité. France Travail joue un rôle crucial dans la sensibilisation, l'orientation des femmes vers ces filières, à découvrir des métiers pour lesquels elles n'ont pas toujours une perception positive.

France Travail soutient également l'engagement des entreprises dans le projet, favorisant leur participation au mentorat. Dans le cadre de ce grand programme, France Travail favorise aussi l’accès à la formation des femmes. Ce partenariat implique de nombreux autres partenaires tels que le MEDEF, l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), des entreprises comme Enedis, et de plus petites entreprises comme Verkor œuvrant dans des secteurs tels que l'énergie propre. De plus, des Campus Métiers et Qualifications sont associés au projet. 
 

Le principal défi reste l'insertion des femmes en reconversion professionnelle dans les entreprises


Sur le terrain de l'emploi et du recrutement, quels obstacles restent encore à surmonter ?

E. L. : La bataille culturelle a été remportée. On n'a plus de freins et de doutes sur le fait qu'une femme et un homme puissent exercer les mêmes métiers et que cela bénéficie à tous qu’ils soient exercés en mixité. Le principal défi reste l'insertion des femmes en reconversion professionnelle dans les entreprises. Les TPE-PME, en particulier, rencontrent des difficultés à accompagner ces profils, car pas toujours bien outillées pour accompagner des personnes qui, peut-être, ne maîtrisent pas complètement leur métier. Mettre le pied à l'étrier peut également s'avérer compliqué. Les femmes rencontrent fréquemment des obstacles pour trouver leur premier stage, leur première alternance, ou encore leur première opportunité professionnelle. 
 

Au niveau de cette insertion dans le numérique, obverse-t-on des différences entre les femmes et les hommes ?

E. L. : Cette situation n'est pas nécessairement vécue de la même manière par les hommes. Dans le cadre d’une reconversion dans le numérique, les recruteurs ont souvent tendance à privilégier à CV équivalent une personne ayant déjà eu des contacts avec le domaine, via des formations techniques initiales ou des activités extra-professionnelles liées à la technologie. Et très souvent, ce sont des hommes.

Il est crucial de dépasser la simple considération des compétences techniques lorsqu'il s'agit de personnes en reconversion, car celles-ci peuvent être acquises tout au long de la vie. Ce qui devrait véritablement primer, c'est la motivation. Il est impératif d'opérer un changement de paradigme où les entreprises se donnent les moyens d'intégrer des individus dont elles perçoivent le parcours de vie comme exceptionnels. 
 

Que préconisez-vous pour tendre toujours plus vers cette égalité professionnelle dans le numérique ?

E. L. : La question du comment on accompagne les femmes dans les métiers d’avenir est un sujet de politique publique, qui demande des moyens. Ce que nous portons chez Social Builder, c’est une intentionnalité, des financements pour que des places de formation soient réservées aux femmes. De nombreuses lois sont passées pour avoir des quotas de femmes dans les conseils d’administration et maintenant dans les conseils de direction.

Cela va dans le bon sens, mais il faut continuer à œuvrer et à révéler un certain nombre de mécanismes qui empêchent les femmes de profiter de ces droits. Leur mise en œuvre demande beaucoup d’énergie et de moyens. Toutes les entreprises ne sont pas encore vertueuses sur le sujet, ne publient pas leurs chiffres sur l’égalité professionnelle ou ne mettent pas en place de plan d’action. C’est un vrai travail de fond qui reste à mener. Il ne faut absolument pas se reposer sur nos lauriers pour parvenir à une vraie égalité professionnelle. 
 

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