« La relocalisation de la production de médicaments essentiels nécessite des recrutements spécifiques »

Quels sont les enjeux majeurs pour l'industrie pharmaceutique en France et pour l'ensemble de la filière ?

Pascal Le Guyader : L'un des principaux enjeux pour l'industrie du médicament est de maintenir et renforcer la production sur le territoire français face à la concurrence internationale. La France, autrefois premier producteur en Europe entre 1995 et 2008, est aujourd'hui rétrogradée au sixième rang. Nos infrastructures industrielles sont principalement orientées vers les produits de forme sèche à faible valeur ajoutée. Pour regagner notre position de leader, il est crucial d'attirer la fabrication de médicaments à forte valeur ajoutée, tels que les biomédicaments et les vaccins.

Ce défi exige des compétences humaines qualifiées. Nous devons également collaborer avec l'État, par exemple avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), pour améliorer notre compétitivité. Cela inclut une réduction des impôts de production et une orientation des commandes publiques vers la production nationale.
 

Quels leviers avez-vous mis en place pour relever ces défis (alternance, formation…) ?

P.L.G. : Nous avons activé plusieurs leviers, notamment une campagne de promotion des métiers de l'industrie via notre OPCO 2i, utilisant la télévision et l’affichage pour montrer la modernité de notre secteur. Nous développons également les formations en alternance, un moyen efficace d'attirer et de former de nouveaux collaborateurs. Notre collaboration avec France Travail et le système d'enseignement supérieur vise à orienter les jeunes vers ces métiers.
 

Quelles sont les principales difficultés rencontrées en matière de recrutement dans la filière ?

Paul Mirland : Nous faisons face à une vive concurrence pour les opérateurs de production, non seulement entre nos sites, mais aussi avec d'autres secteurs. Les techniciens de maintenance sont également très recherchés, notamment dans certains bassins d'emploi. De plus, les métiers liés à la qualité sont en forte demande.

Pour les pharmaciens, le recrutement est difficile. Nous avons besoin de professionnels possédant un diplôme de pharmacien et pouvant évoluer rapidement en responsabilité. La bioproduction, un secteur en pleine croissance, rencontre aussi des difficultés pour trouver des personnes qualifiées, en particulier dans certaines régions.
 

Comment collaborez-vous avec France Travail ?

P.L.G. : Nous explorons des viviers de talents, y compris parmi les chômeurs de longue durée, pour offrir de nouvelles opportunités d'emploi. Cette approche permet de répondre aux besoins de notre industrie tout en ayant un impact social positif.
 

Le gouvernement a annoncé en juin 2023 la relocalisation de la production de médicaments essentiels en France. Comment cet objectif peut-il être atteint et quels sont les besoins en compétences associés ?

P.L.G. : Atteindre cet objectif nécessite une stratégie claire et cohérente. Premièrement, il est crucial de dynamiser l'investissement, déjà initié via des appels à projets et des initiatives comme le plan de relance. Cependant, pour garantir la viabilité de la production, il faut ajuster les prix et optimiser les commandes publiques. En termes d'emploi, cette relocalisation s'appuiera principalement sur les bassins existants et les sites de production actuels, nécessitant ainsi une montée en compétences des salariés ou de nouveaux recrutements spécifiques.
 

Quelles sont les perspectives d'emploi dans le cadre de cette réindustrialisation ?

P.M. : La réindustrialisation de la production pharmaceutique en France s'articule autour de quatre grands enjeux majeurs. D'abord, il est crucial de continuer la production de médicaments critiques, en garantissant le maintien des produits matures sur le marché. Ensuite, la création de valeur sur le territoire national se matérialise par le développement de médicaments biologiques et de produits à haute valeur ajoutée, nécessitant une main-d'œuvre qualifiée.

Par ailleurs, la modernisation et la digitalisation des sites de production sont essentielles pour améliorer les rendements et la qualité, tout en sécurisant les processus de fabrication. Enfin, la transition écologique représente un défi majeur, avec des exigences croissantes pour adopter des pratiques durables, telles que la réduction de l'empreinte carbone et l'intégration d'achats responsables. Ces initiatives ne se contentent pas de répondre aux préoccupations environnementales : elles offrent aussi un avantage compétitif pour les entreprises pharmaceutiques basées en France. 

Ces efforts nécessitent l'acquisition de nouvelles compétences et une transformation majeure de notre secteur. Nous devons également soutenir les PME, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les sous-traitants dans cette transition pour qu'ils ne soient pas laissés pour compte.