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« Le marché de l’emploi sera fortement affecté par la transition écologique »
Comment mettre tous les métiers au service de la transition écologique ? Quelles nouvelles compétences seront recherchées ? Les réponses d'Emeline Fasolato, directrice du pôle Recherche et prospective métiers chez Les Nouveaux Géants et pilote d'une étude sur la transition écologique au cœur de chaque emploi.
Publié le 16/12/2024
Dans quel contexte s’inscrit la réalisation de l’étude La transition écologique au cœur de chaque métier ?
Emeline Fasolato : Ce sont nos échanges avec nos différents interlocuteurs - responsables RSE, Ressources humaines (RH), directions métiers - qui ont motivé le lancement de cette étude, il y a un an et demi. Ceux-ci formulaient un besoin nouveau : celui de transformer l’entreprise en profondeur. Et ainsi passer d’une phase de sensibilisation et de formalisation d’une stratégie RSE à des actions de mise en œuvre concrètes, au cœur des processus et des métiers de l’entreprise. Nous avons donc conçu cette étude comme un guide pratique et utile pour les acteurs de l’entreprise.
À qui s'adresse cette étude ?
E.F. : D’une part, nous nous adressons aux professionnels chargés de la transformation de leur entreprise (RSE, RH, DG) : l’étude commence par montrer pourquoi la transition écologique passera nécessairement par l’évolution de tous les métiers. Elle propose ensuite des méthodologies pour prioriser et identifier les évolutions nécessaires.
D’autre part, nous accompagnons la transition écologique de tous ceux qui souhaitent mettre leurs compétences et leur expérience au service de cette transformation. Le rapport final contient 11 fiches métiers pour illustrer les évolutions attendues et souhaitables par métier. Nous y avons identifié des compétences essentielles et des ressources accessibles en ligne, afin que chacun se documente facilement. Cette étude a pour objectif de soutenir la mise en action dans la sphère professionnelle.
Qui sont Les Nouveaux Géants ?
E.F. : Nous sommes un organisme de formation-action sur la transition écologique, avec la particularité de proposer des formations par métier : notre objectif est de permettre à chacun de faire son travail de manière plus écologique. Depuis janvier 2024, nous avons lancé une activité de recherche sur la transition écologique, dont cette étude est le premier livrable.
Côté recherche, nos trois priorités en 2025 seront de diffuser les apprentissages de cette première étude au plus grand nombre, de les décliner en outils ciblés et de lancer de nouveaux travaux de recherche. Une piste possible est notamment d’explorer les transformations qu’implique le passage à un modèle d’affaires circulaire pour chaque métier.
Mettre son métier au service de la transition écologique, c’est redonner du sens à son travail et découvrir de nouvelles missions.
Quels constats ont motivé cette étude ?
E.F. : La transition écologique des métiers est un sujet clé, à la fois au niveau collectif et individuel. À l’échelle de la société, il est essentiel que chacun agisse au cœur de son activité professionnelle - au-delà de la sphère privée. Car c’est grâce à ces actions que les organisations privées et publiques transitionneront. C’est très important car 75% de l’effort de transition réside dans les actions collectives, d’après l’étude Faire sa part, de Carbone 4.
À l’échelle individuelle, mettre son métier au service de la transition écologique, c’est redonner du sens à son travail et découvrir de nouvelles missions. Si ce besoin d’aller au-delà de la sensibilisation est exprimé par les responsables RSE ainsi que par les collaborateurs eux-mêmes, nous avons constaté que peu de personnes étaient en mesure d’éclairer ce futur dans le cadre de la transition écologique en proposant une évolution des pratiques ciblée par métier. C’est ce à quoi nous nous sommes attelés avec cette étude.
Quels sont les enjeux stratégiques et humains de la transition écologique des métiers ?
E.F. : Du point de vue de la société, la transition écologique des métiers est essentielle car elle permet de lever les freins que les organisations rencontrent aujourd’hui pour effectuer leur transition. Diffuser les compétences de durabilité à l’ensemble des collaborateurs est nécessaire pour assurer une veille des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) à 360°. Ainsi que la prise en compte systématique des enjeux ESG pour transformer les activités en profondeur et de manière durable.
Du point de vue des ressources humaines, l’enjeu est aussi d’attirer et de fidéliser les talents. De redonner du sens au travail et de maintenir l’employabilité des collaborateurs, qui est une obligation pour l’employeur.
Quel sera l’impact de la transition écologique sur les emplois ?
E.F. : Le marché de l’emploi sera fortement affecté par la transition écologique : d’un point de vue quantitatif, certains secteurs vont vivre une création nette d’emplois, tandis que d’autres subiront une destruction nette. Cela se traduira par des reconversions pour les employés de certains secteurs.
D’un point de vue qualitatif, on constate deux tendances complémentaires. D’une part, le développement de métiers dits « verts » ou de nouveaux métiers au service de la transition. Par exemple, technicien de la qualité de l’eau, ingénieur en rénovation énergétique, expert bilan carbone. D’autre part, une « écologisation » de tous les métiers. Pour faire le parallèle avec la transition digitale, certains secteurs ont dû transformer radicalement leur activité pour pouvoir survivre (par exemple, le fort développement des journaux en ligne pour le secteur de la presse). Et certains métiers sont nés (data scientist, développeur informatique…).
Plus globalement, tous les métiers ont intégré une composante digitale, comme travailler sur un ordinateur plutôt que sur du papier. Plusieurs études explorent les deux premiers types d’impact (quantitatif, nouveaux métiers). Notre étude porte sur le troisième type d’impact, à savoir l’écologisation de tous les métiers.
Tous les métiers peuvent être moteurs : pour opérer les chantiers RSE, nous avons besoin des savoir-faire de chacun.
Comment les métiers sont-ils touchés par la transition écologique ?
E.F. : L’écologisation des métiers prend sa source dans deux dynamiques. La première consiste à faire évoluer ses pratiques en réaction ou en prévision des risques que les enjeux sociaux et environnementaux font peser sur les activités : risque réglementaire, évolution ou ralentissement du marché, désorganisation des flux et difficultés d’approvisionnement, conditions de travail de plus en plus difficiles…
La seconde dynamique consiste à se positionner comme un acteur proactif et moteur de la transition écologique de son organisation. Cela implique de modifier ses pratiques en fonction de ce qui est souhaitable pour la transition de l’entreprise et, plus globalement, de la société. Tous les métiers peuvent être moteurs : pour opérer les chantiers RSE, nous avons besoin des savoir-faire de chacun.
Comment les métiers peuvent-ils se mettre au service de la transition écologique ?
E.F. : En interrogeant ses manières d'opérer (quelles sont mes actions, comment puis-je réduire leur impact environnemental et social ?), la finalité de ses actions (à quoi servent mes actions ? Que puis-je faire pour qu’elles soient le plus utiles au bien commun ?) et ses parties prenantes (avec qui est-ce que je travaille et comment puis-je encourager leur transition écologique ?).
En somme, nous invitons chacun à explorer ces trois zones d’action : les actions à impact direct, qui permettent de réduire immédiatement l’impact de l’entreprise (écoconception, pratiques circulaires…) ; les actions à impact systémique, qui consistent à embarquer et influencer ses parties prenantes externes (fournisseurs, transporteurs…) ; les actions à impact indirect, qui visent à mobiliser ses collègues et les services auxquels chacun est relié pour faire évoluer les processus communs à plusieurs métiers.
Quelles nouvelles missions et compétences figureront dans les fiches de poste ?
E.F. : Grâce à nos travaux de recherche, nous avons vu se dessiner un nouveau socle commun. Aujourd’hui, exercer un métier implique de comprendre le marché et le cadre économique de l’entreprise, d’effectuer une veille au service de la performance de l’entreprise et de la satisfaction des clients, d’identifier et de prioriser les risques selon leur matérialité financière, de reporter sur des objectifs et une performance économique et de satisfaire autant que possible les besoins exprimés.
Demain, il s’agira, au même titre, de comprendre le cadre social et environnemental dans lequel l’entreprise évolue (limites planétaires, plancher social, responsabilité élargie sur l’ensemble du cycle de vie), de mettre sa veille au service de la transition écologique, d’identifier comment les risques qui pèsent sur l’entreprise sont modifiés sous l’effet des enjeux sociaux et environnementaux.
Il s’agira également de contribuer à éclairer l’impact de l’entreprise sur ses parties prenantes (mesure d’impact, collecte et analyse de données extra-financières), de prioriser ces enjeux en double matérialité, de reporter sur des objectifs extra-financiers et une performance globale. Et de questionner les besoins exprimés au regard des externalités négatives afin de se concentrer sur ce qui est « juste nécessaire ».
Il existe aussi des compétences spécifiques : écoconcevoir des produits, accompagner la transition des fournisseurs ou des transporteurs, s’assurer de la mise en conformité avec les nouvelles réglementations. Mais aussi mettre en place une logistique inversée au service de l’économie circulaire, orienter les clients vers les offres à moindre impact, adapter l'organisation du travail aux nouveaux risques psycho-sociaux, réduire l’impact du système d’information…
Pour une personne en recherche d’emploi, il s’agit de comprendre comment ses compétences peuvent être utiles à la transition.
Quels métiers seront les plus concernés par la transition écologique ?
E.F. : Les métiers clés dépendent de l’entreprise, et notamment de ses motivations et de son cap en matière de transition écologique. Par exemple, si elle souhaite se mettre en conformité avec les nouvelles réglementations environnementales, les juristes, les contrôleurs de qualité et les financiers (pour la corporate sustainability reporting directive, ou CSRD) seront très impliqués.
Si l’objectif est de décarboner les activités, alors l’offre, les achats et les usines sont clés. Enfin, si l’entreprise souhaite faire évoluer ses activités vers davantage de circularité, elle fera appel à des fonctions variées comme le marketing, le commerce et la logistique. Dans tous les cas, la finance et les ressources humaines doivent être embarqués assez tôt dans la transformation : ils peuvent fortement accélérer la transition des autres activités par l’allocation des budgets ou la révision des plans de formation, par exemple.
Pourquoi est-il important de se former à ces enjeux et comment procéder ?
E.F. : Pour mettre son métier au service de l’écologie ou se reconvertir, de nouvelles compétences sont nécessaires. Pour les acquérir, les collaborateurs d’entreprise peuvent solliciter leur service RH ou RSE, ou bien leur manager. Pour une personne en recherche d’emploi, il s’agit de comprendre comment ses compétences peuvent être utiles à la transition (car toutes les compétences sont utiles !). Pour cela, nous vous invitons à consulter l’étude : vous y trouverez notamment des ressources facilement accessibles, sélectionnées pour chaque métier. Vous pouvez également consulter le site de l’ADEME, qui répertorie des prestataires de formation.
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