Article
« Les employeurs veulent montrer qu’ils pensent à la mobilité des collaborateurs »
Quinze millions : c’est le nombre de voitures qui circulent chaque jour en France avec, en général, une seule personne à bord. Alors pour développer le covoiturage domicile-entreprise, BLABLACAR DAILY multiplie les partenariats, notamment avec France Travail. Entretien avec Adrien Tahon, directeur général de l’application.
Publié le 18/09/2024
Quel est le modèle économique de BlaBlaCar Daily ?
Adrien Tahon : Les trajets effectués en BlaBlaCar classique sont des déplacements de 200 à 300 kilomètres, de ville à ville. Alors que BlaBlaCar Daily fait l’objet d’une application séparée, pour des trajets de 20 à 30 kilomètres, avec une spécialisation sur les trajets domicile-travail. Pour les trajets longue distance, les utilisateurs sont prêts à payer afin de se déplacer en partageant les frais. Pour les trajets du quotidien, afin d’aller travailler, personne ne veut payer : partout en France, ces trajets en transports en commun sont subventionnés. Pour que les conducteurs soient motivés à prendre des passagers, il faut qu’ils perçoivent une rétribution financière. Et que cela soit gratuit pour les passagers.
Nous travaillons donc avec les collectivités et les entreprises qui financent ces trajets. Nos revenus proviennent de ces organisations avec lesquelles nous établissons des partenariats. Nous en avons signé avec plus de 120 collectivités territoriales de toute taille : région Île-de-France, Montpellier, Beauvais, Artois, Vannes… Elles prennent en charge le covoiturage sur leur territoire et subventionnent ce mode de déplacement. En parallèle, nous sommes partenaires de 450 entreprises pour mettre en place des solutions de covoiturage. De notre côté, il s’agit notamment d’animation, de formation et de reporting (rapport sur les trajets). L’objectif : vérifier que ce que nous mettons en place fonctionne.
Si on covoiture au quotidien, on économise assez rapidement 1 000 à 1 500 euros par an.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé au covoiturage domicile-travail ?
A. T. : C’est le graal du covoiturage. Chaque jour, près de 15 millions de voitures circulent sur les routes, avec un seul conducteur au volant la plupart du temps. On achète une voiture quand on en a besoin au quotidien, pas pour partir en week-end. Et la distance moyenne parcourue chaque jour est de 31 kilomètres. C’est le cas d’usage où les véhicules roulent le plus et où il y a le plus d’économies théoriques à faire.
En 2007-2008, il n’existait pas de modèle économique ni d’outils adaptés. BlaBlaCar a donc démarré par le covoiturage longue distance, plus facile à organiser et pour lequel les passagers sont plus facilement prêts à accepter des contraintes. BlaBlaCar s’est intéressé au covoiturage domicile-travail en 2018. Celui-ci a connu un décollage en 2019, avec le vote de la loi d’orientation des mobilités (LOM), qui met en place le forfait mobilité durable défiscalisé. Cette loi marque le point de départ du développement du covoiturage du quotidien. L’année 2024 est celle qui devrait voir plus de trajets réalisés en BlaBlaCar Daily qu’en covoiturage classique. Une voiture coûte en moyenne à l’usage entre 5 000 et 6 000 euros par an. Si on covoiture au quotidien, on économise assez rapidement 1 000 à 1 500 euros par an.
Quel est le potentiel de développement de ce covoiturage de proximité ?
A. T. : Le covoiturage du quotidien croît de manière exponentielle, mais il n’est pas simple de prévoir exactement jusqu’où cela va monter. Pour l’instant, il enregistre un taux de croissance multiplié par 1,5 chaque année. Mais combien de temps cela va-t-il durer ? On compte 15 millions de véhicules en autosolisme par jour. Peut-on mettre au covoiturage 100 000, 200 000 ou un million de personnes par jour ? Difficile à dire.
Pour que cela fonctionne, il faut trois prérequis : un équilibre financier, une masse critique d’utilisateurs de la plateforme et une bonne communication pour dépasser les barrières de perception. Le levier le plus sensible est de casser l’imaginaire autour de la voiture, persuader chacun qu’il peut faire du covoiturage. Nous y arriverons, avec le temps et le bouche à oreille.
Afin de dépasser les barrières, par exemple, nous avons mis en place une garantie retour pour éviter d’être en difficulté en cas d’annulation du trajet retour par son covoitureur. BlaBlaCar vous envoie alors un taxi pour rentrer à bon port. La plateforme vérifie également les profils qui s’inscrivent et assure la traçabilité des trajets. C’est là que les employeurs jouent un rôle important, afin d’apporter des solutions pragmatiques et convaincre les collaborateurs.
On commence par covoiturer pour des raisons financières, puis on continue pour l’environnement.
Pourquoi la mobilité est-elle un sujet essentiel pour les salariés et les entreprises ?
A. T. : Nous travaillons notamment avec des entreprises d’intérim. De plus en plus d’offres d’emploi mentionnent un accord avec des plateformes de covoiturage. Les employeurs veulent montrer qu’ils pensent à la mobilité des collaborateurs et proposent des solutions. Car c’est une des barrières d’accès à l’emploi : puis-je me rendre chez cet employeur ? Combien cela va-t-il me coûter ? La voiture est un poste de coût que l’on peut mutualiser entre collègues. On commence par covoiturer pour des raisons financières, puis on continue pour l’environnement.
Un des thèmes de la campagne de rentrée de BlaBlaCar Daily est : « Trouvez votre covoitureur pour l’année. » Sur la longue distance, il est rare de voyager deux fois avec la même personne. Sur BlaBlaCar Daily, quand vous commencez à covoiturer et une fois que vous avez trouvé votre covoitureur, vous le gardez pour l’année. Les nouvelles habitudes prises, on s’organise facilement.
Comment travaillez-vous avec les collectivités ?
A. T. : Nous sommes en train de rattraper la place qu’aurait dû avoir le covoiturage si Internet s’était développé en même temps que la voiture individuelle. Nous en avons désormais les moyens techniques et financiers. Pour faire se rencontrer l’offre et la demande, il faut que de nombreux conducteurs et passagers se connectent sur la plateforme.
Les collectivités font face à un triple enjeu : permettre à leurs administrés de se déplacer, décarboner les transports publics et rendre du pouvoir d’achat localement. Beauvais a, par exemple, développé un réseau de bus. Et a pour objectif de créer une offre de covoiturage pour répondre à une partie des besoins. Le Beauvaisis consacre 8% de son budget mobilité, soit un million d’euros par an, pour développer un réseau qui connecte les 54 communes de la communauté de communes. Ce service coûte autour de 2,5 euros par salarié, soit 5 à 10 fois moins cher que des équivalents en bus. Nous intervenons aussi en Île-de-France, où les deux tiers des trajets vont de grande couronne à grande couronne.
De quelle manière travaillez-vous avec les entreprises pour favoriser leur attractivité et la mobilité de leurs salariés ?
A. T. : 78% des personnes utilisent leur voiture pour aller au travail. Le but est de faire connaître la solution et que plus de collaborateurs se lancent. Cela fonctionne quand il y a une vraie volonté de la direction, au plus haut niveau. Et nous formons des référents en interne dans l’entreprise, qui connaissent l’application par cœur et peuvent répondre aux questions. Nous organisons des webinaires et des animations sur site avec notre équipe événementielle. Par exemple, des jeux concours intra-entreprises. Nous mesurons ensuite, grâce à quelques indicateurs, l’impact du covoiturage pour l’entreprise.
Parmi les lieux où c’est un succès, citons Amazon, à Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne. Jusqu’à 10 à 20% des collaborateurs se sont mis à covoiturer en trois à six mois. Cela démarre assez vite quand le bouche à oreille est lancé. L’avantage avec BlaBlaCar Daily, c’est que l’on ne part pas de zéro. Certains salariés ont déjà essayé le covoiturage, d’autres en ont déjà entendu parler. Cela décollera vraiment lorsqu’il sera normal de venir travailler en BlaBlaCar Daily. Ce qui demande un peu de temps…
Aujourd’hui, aux entreprises de moins de 100 collaborateurs, nous envoyons des kits de communication gratuits. À partir de 100 collaborateurs, nous travaillons avec des grands groupes comme Amazon ou Disneyland, des entreprises d’intérim comme Randstadt ou Manpower, des entreprises de taille intermédiaire (ETI) de 300 à 400 collaborateurs. Nous intervenons auprès de 450 entreprises dans toute la France, auxquelles s’ajoutent quelques centaines en lien avec les collectivités.
En quoi le covoiturage est-il vertueux pour l’environnement ?
A. T. : Dans le reporting, ce rapport sur les trajets que nous communiquons aux entreprises, figure le CO2 évité par entreprise. Un chiffre à faire valoir dans leur rapport RSE. Nous établissons aussi des indicateurs de performance : nombre de personnes concernées, économies réalisées… Pour demain, nous réfléchissons à la manière de valoriser l’électrique, pour l’instant mineur dans le parc français (moins de 20%). C’est une demande de beaucoup d’entreprises.
Le covoiturage est un réseau qui correspond à un besoin quotidien.
Tous les trajets sont-ils « covoiturables » ?
A. T. : Non, mais une bonne partie des trajets est éligible et c’est déjà pas mal ! Les trajets domicile-travail, qui sont planifiés, représentent une grande part des trajets « covoiturables ». D’autres le sont plus difficilement, comme une sortie pour faire les courses ou lorsque la voiture est pleine parce qu’on se déplace en famille. Le covoiturage pour déposer les enfants aux activités extrascolaires est déjà régulier, mais de manière informelle.
Le covoiturage rapproche-t-il les demandeurs d’emploi de l’emploi ?
A. T. : C’est un réseau qui correspond à un besoin quotidien, il est gratuit et fiable. Vous trouvez un covoitureur régulier qui vous conduit au travail, et vous êtes assuré de pouvoir rentrer chez vous, quoi qu’il arrive.
Dans de nombreuses régions, nous nouons des partenariats avec des collectivités pour proposer des solutions de mobilité gratuite aux demandeurs d’emploi. Nous sommes partenaires des agences France Travail de La Rochelle, Carcassonne, Sarreguemines et Montpellier, souvent via les collectivités partenaires qui nous demandent de discuter avec les agences locales de France Travail. Nous proposons des solutions de covoiturage pour les collaborateurs ou pour les personnes qu’ils accompagnent. En tant que créateur de mobilité, BlaBlaCar joue un rôle local à fort impact.
Chiffres clés
- 5 millions de membres sont inscrits sur BlaBlaCar Daily ;
- 80% des trajets effectués sont à destination de villes de moins de 20 000 habitants ;
- 65% connectent une ville de moins de 10 000 habitants ;
- 95% des recherches de covoiturage aboutissent ;
- 100 personnes travaillent chez BlaBlaCar Daily (sur 800 collaborateurs au total pour le groupe BlaBlaCar) dans les équipes d’ingénieurs, de développement commercial et d’événementiel ;
- 600 à 700 événements sont organisés dans les entreprises et les collectivités par an.