« Notre ambition est de donner aux talents des banlieues les clés dont ils ont besoin pour tracer leur trajectoire professionnelle »

Selon une étude du Défenseur des Droits, 37 % des jeunes estiment avoir vécu une situation de discrimination dans le cadre de leur parcours professionnel. Si les raisons d’une telle situation sont multiples, l’origine, et a fortiori l’origine sociale, motivent encore trop souvent ces discriminations.

Je viens moi-même de ce que l’on appelle un « quartier ». J’ai grandi à Sevran, en Seine-Saint-Denis, et j’ai débuté mes études dans une zone d’éducation prioritaire. Jusqu’au jour où, alors même que je suis étudiante à Bondy, je suis pressentie pour rejoindre un parcours parallèle dédié aux étudiants issus de banlieue, permettant d’intégrer une grande école de commerce. Je saisis l’opportunité et je réussis – au terme du concours d’entrée directe – à intégrer le master management Grande école de l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP), où je décide de me spécialiser dans l’entrepreneuriat.

C’est à ce moment précis que je comprends qu’il existe des ressources, des outils, des formations auxquels je n’avais pas accès lorsque j’étais étudiante en Seine-Saint-Denis. Des ressources, des outils, des formations pour devenir entrepreneur et dont je n’avais pas même connaissance. Je comprends que si les quartiers foisonnent de créativité et d’envie, les jeunes qui vivent dans ces territoires sont vite rattrapés par leur environnement. D’ailleurs, moins de 30 % d’entre eux sont diplômés. Concrètement, ces jeunes sont enfermés dans des parcours limités et limitants, ils manquent d’information sur les possibilités d’études et les orientations professionnelles envisageables. Tout comme ils peuvent s’autocensurer : comment faire pour lutter contre la reproduction sociale quand on vient d’une famille de classe populaire ? Comment prétendre à de grandes écoles quand on vient d’une zone d’éducation prioritaire ?

Prenons l’exemple de l’entrepreneuriat. Dans certains territoires, l’écosystème entrepreneurial y est moindre voire inexistant. Les accompagnements proposés aux entrepreneurs sont eux inadaptés : ils ne tiennent pas compte de la diversité des profils des quartiers. Toutes ces raisons m’ont poussée à m’engager contre ces discriminations qui sont hélas monnaie courante. J’ai créé Time2Start, une structure dont la mission consiste à soutenir le potentiel entrepreneurial des quartiers. Au quotidien, nous travaillons en étroite collaboration avec les missions locales, France Travail et des acteurs de l’inclusion. Et chaque année, pas moins de 80 entrepreneurs – jeunes et moins jeunes – bénéficient de nos programmes. 
Notre ambition est de donner aux talents des banlieues les clés dont ils ont besoin pour tracer leur trajectoire professionnelle. Une trajectoire professionnelle choisie, qui n’est pas conditionnée par le lieu de vie ou l’origine. Moriba Soukouna fait partie de ces jeunes que nous avons accompagnés en ce sens. Lorsqu’il a frappé à la porte de Time2Start pour la première fois, il avait la motivation et la créativité pour réussir. En revanche, il n’avait ni le réseau, ni la méthodologie, ni les ressources pour devenir entrepreneur. Aujourd’hui, il est à la tête d’une équipe de 10 personnes et dirige la plateforme de soutien scolaire 1clic1prof. C’est un chef d’entreprise accompli. 

De belles histoires comme celle-ci, il doit y en avoir plus. Et si l’entrepreneuriat est un véritable levier d’insertion pour ces jeunes, c’est à tous les niveaux qu’il faut agir. Il faut construire des lieux d’excellence dans les quartiers. Il faut faire émerger des classes préparatoires, démultiplier les structures comme la nôtre, favoriser le développement et l’accès à des formations dédiées à des domaines d’avenir comme le numérique et l’intelligence artificielle (IA). Il faut donner envie aux entreprises de s’implanter dans nos territoires, il faut casser leurs préjugés autour des « jeunes de banlieue », et ne pas restreindre les recrutements à celles et ceux qui ont fait des grandes écoles. Il faut enrichir l’écosystème entrepreneurial et celui de l’emploi. Il faut aussi mieux faire circuler l’information : chaque talent doit pouvoir accéder au parcours qui lui correspond. Pour cela, il doit connaître l’écosystème qui l’entoure afin de saisir les opportunités. La circulation de l’information est donc un enjeu clé qui participe au décloisonnement, à la lutte contre les inégalités et les discriminations.

Les jeunes sont la relève, donnons-leur une chance de pouvoir s’épanouir professionnellement quelle que soit leur origine sociale. Ils ont soif d’apprendre, ils sont engagés, curieux, libres. Ils n’ont pas peur de faire bouger les lignes. Ils sont un atout indéniable pour les entreprises. Alors, ne leur barrons pas la route. Mobilisons-nous, associations, organismes de formation, collectivités, prescripteurs de l’emploi et entreprises, pour lutter de façon profonde et durable contre les discriminations professionnelles et ainsi aider la jeunesse à trouver sa place dans le monde du travail.