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« Une politique favorable à la parentalité peut aider au recrutement »

La flexibilité, un luxe ? Pour attirer et fidéliser les collaborateurs parents, c’est au contraire un impératif alors que 36% d’entre eux peinent à équilibrer leur vie professionnelle et familiale, soit deux fois plus qu’en 2007*. Décryptage avec Tiphaine Mayolle, auteure de La Parentalité en entreprise expliquée à mon boss**.

Publié le  05/11/2024

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Les parents sont-ils plus sujets à une fragilité psychologique liée au travail que les autres salariés ?

Tiphaine Mayolle : Quand on est parent, on a une charge mentale qui est de deux ordres : la charge mentale professionnelle et la charge mentale familiale. Quand ces charges mentales sont trop importantes sur le long terme, elles sont effectivement source d'anxiété et de stress. Les parents y sont sujets, mais ils ne sont pas les seuls. Nous faisons face aujourd’hui à un phénomène de société dans lequel le temps s’accélère. L’hyperconnexion et l’utilisation des outils numériques rendent poreuse la frontière entre l’univers professionnel et l’univers personnel quand on est au travail. Les notifications permanentes n’aident pas à la segmentation de la charge mentale.

Auparavant, le temps du foyer était réparti de manière distincte entre l'homme et la femme. Aujourd’hui, les deux membres du couple travaillent. Et donc le temps du foyer est réduit pour une charge familiale qui reste incompressible. Cette surcharge est très épuisante à long terme due à l’efficacité qu’elle demande et la réduction des temps de repos et de ressourcement.

« Ce ne sont pas des places réservées en crèche qui vont amener un retour sur investissement immédiat. »


La thématique de la vie personnelle est un enjeu crucial pour de plus en plus de jeunes diplômés et la parentalité en est l’une des composantes principales. Les entreprises ont-elles beaucoup à gagner en instaurant une politique favorable aux salariés qui veulent devenir parents ?

T.M. : Une politique favorable à la parentalité peut aider au recrutement, mais peut aussi aider à fidéliser les collaborateurs. Un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, c’est une meilleure efficacité au travail. Dans leurs témoignages, les entreprises qui ont mis en place des mesures évoquent le bénéfice perçu sur la productivité de leurs salariés. Mais attention, ce ne sont pas des places réservées en crèche qui vont amener un retour sur investissement immédiat. La politique parentale est une transformation de fond qui porte ses fruits dans le temps.

La maternité reste cependant un frein pour nombre de carrières, et un vecteur d’inégalités entre les hommes et les femmes…

T.M. : Beaucoup d'études montrent que c'est encore la femme qui assume majoritairement la charge familiale. Pour autant, je crois profondément que tout est en train de changer : c'est ce que je constate à la fois dans les entreprises et du côté des collaborateurs. 

Quand j'ai écrit mon livre, j'ai mené des interviews auprès d'un panel de parents. Une majorité d’hommes m'a expliqué vouloir vivre leur parentalité différemment de celle de leurs aînés. Notamment qu’ils avaient eu pour modèle un père plus investi dans sa vie professionnelle que familiale. Cela montre une tendance nouvelle au sein de cette génération. Les jeunes ont envie d’équilibrer leur vie professionnelle et personnelle. Cette plus grande implication des pères permettra notamment aux mères de prendre pleinement leur place dans leur vie professionnelle et de mener de front une vie de famille et une vie professionnelle.

« Les femmes restent largement majoritaires à changer leur rythme de travail pour s’occuper des charges familiales. »


Les entreprises ont-elles aussi un rôle à jouer dans ce changement de paradigme ?

T.M. : Jusqu'à maintenant, en entreprise, la parentalité était beaucoup associée à la maternité. Aujourd’hui, les organisations intègrent le fait que la parentalité n'est pas qu’une affaire de mères, mais celle d'hommes et de femmes qui partagent une charge familiale. C’est bénéfique pour la réduction de ces inégalités. 

Toutefois, si on tend de plus en plus vers une égalité, les derniers chiffres montrent que nous en sommes loin. Les femmes restent largement majoritaires à changer leur rythme de travail pour s’occuper des charges familiales.

Quels leviers concrets une entreprise pourrait-elle actionner pour alléger la charge des salariés parents ?

T.M. : Il y a évidemment des besoins communs à tous, comme celui d’avoir du temps dans les moments importants de la vie de famille et un besoin de flexibilité au quotidien. Les conciergeries ou les places en crèche sont des incontournables. Tout ce qui concerne la politique de congés est aussi indispensable. L’entreprise propose-t-elle plus de temps que ce qui est prévu dans la loi ? Comment indemnise-t-elle ce temps supplémentaire ? Ces paramètres sont extrêmement importants pour permettre aux collaborateurs de prendre réellement ce congé. 

Ensuite, il existe des aides financières : bons pour des gardes d'enfants, mutuelle avantageuse, aides pour les vacances et les loisirs… Énormément de solutions existent et les entreprises sont très inventives.

Côté salarié, quels sont les ingrédients indispensables pour vivre sereinement sa parentalité ?

T.M. : J'aime parler de responsabilité partagée. On peut attendre beaucoup de choses de son employeur et faire en sorte que l'entreprise prenne sa part dans cet équilibre. Mais chaque collaborateur a aussi le devoir de se questionner sur ce dont il a besoin, ce qui est essentiel pour lui, faire des choix et s'organiser. Il faut s'entourer, réévaluer régulièrement la répartition des tâches avec son conjoint ou sa conjointe et responsabiliser ses enfants quand on peut le faire. 

Ce travail demande de l’introspection et du temps. Et puis, il faut choisir ses combats. Vie professionnelle, vie personnelle… on ne peut pas être partout, tout le temps. Il faut choisir là où on a le plus envie d'être et sur quelle période. La clé est de redonner aux salariés le sentiment d'être acteur de leur équilibre, pour ne pas subir complètement leur vie.


*Observatoire des familles du réseau Unaf-Udaf-Uraf :  «  Comment les familles réussissent-elles à concilier leur vie familiale avec leur vie professionnelle  ?  Besoins et aspirations.  ».

**Éditions Kawa, 2020.