Depuis le Covid-19, le monde du travail a considérablement changé en Espagne

Quel est l’état du marché du travail en Espagne ?

Pilar Llacer : Le marché du travail en Espagne est influencé par deux grands facteurs :  l'impact de la technologie et l'arrivée d'une nouvelle génération. La technologie ne se limite pas aux outils, mais touche également la nature même du leadership. Les jeunes qui arrivent sur le marché du travail apportent une « révolution copernicienne » dans le monde professionnel. Ils cherchent à concilier vie personnelle et vie professionnelle, ce qui bouleverse les règles traditionnelles.

En Espagne, les entreprises ont besoin de jeunes talents, notamment dans les domaines de la technologie, du tourisme et de l’industrie. Il est essentiel de montrer aux étudiants que les entreprises évoluent et s’adaptent. La plupart des entreprises espagnoles sont de petites entreprises familiales qui doivent repenser leur mode de fonctionnement. Un autre défi majeur réside dans le fait que beaucoup de jeunes ne souhaitent pas reprendre l’entreprise familiale. Ils aspirent à de nouveaux défis, à davantage de technologie et à une vision plus moderne du monde. 

Comment fonctionne le système d’accès au travail ? 

P.L : En Espagne, l’accès au marché du travail se fait principalement par le système éducatif et les stages en université ou en écoles de commerce, ou bien via la formation professionnelle, pour ceux qui choisissent une autre voie. Cependant, une majorité d’entreprises recherche des travailleurs peu qualifiés, alors que les jeunes sont souvent surqualifiés. Infojobs reste le principal portail pour décrocher un premier emploi, mais les recommandations personnelles jouent aussi un rôle crucial.   

Les entreprises doivent professionnaliser leurs processus de recrutement. De nombreux dirigeants préfèrent encore que leurs employés soient présents sur site plutôt qu’en télétravail. Après la pandémie, l’Espagne est le seul pays européen à avoir significativement réduit le recours au télétravail, suivant l’exemple d’entreprises comme Amazon et Google. 

Quelles sont les spécificités du marché du travail en Espagne ?

P.L : Le principal problème du marché espagnol réside dans la culture et le style de direction des entreprises. Depuis le Covid-19, le monde du travail a considérablement changé. Les employés se posent désormais cette question cruciale : quel est le sens de notre travail ? Ils recherchent une profession alignée sur leurs valeurs et un objectif clair, aussi bien dans leur vie personnelle que professionnelle. 

Comment le marché du travail traite-t-il les plus de 50 ans ? 

P.L : En tant que femme de plus de 50 ans avec un diplôme en philosophie, je peux facilement m’adapter au changement. Cependant, beaucoup de personnes de ma génération, ayant travaillé longtemps dans une même entreprise, se retrouvent démunies lorsqu’elles perdent leur emploi. Elles n’ont pas entretenu leur marque personnelle ni leur réseau, ce qui les rend invisibles sur le marché. 

Pourtant, avec un bon réseau et une expertise solide, il est tout à fait possible de trouver un emploi, même en tant que senior. C’est pourquoi je recommande la formation continue et le développement de son réseau tout au long de sa carrière.   

Un point positif pour les seniors : depuis deux ans, les entreprises bénéficient d’incitations gouvernementales lorsqu’elles recrutent des femmes ou des personnes de plus de 50 ans. Ce qui explique que de nombreux hommes de ma génération estiment être victimes de discrimination ! Par ailleurs, les entreprises doivent recruter les meilleurs talents, et il n’y a pas assez de femmes disponibles pour occuper des postes à responsabilités.  

Quelle est la situation pour les jeunes et les personnes éloignées de l’emploi ?

P.L : Les jeunes d’aujourd’hui ont des attentes différentes vis-à-vis du travail. À Madrid, par exemple, ils évitent les très grandes entreprises et préfèrent des PME dont ils partagent les valeurs. Les entreprises doivent comprendre ces attentes pour attirer les jeunes talents. Les dirigeants doivent aussi changer de mentalité pour adapter l’organisation du travail à ces nouvelles générations.

De plus, une nouvelle tendance consiste à embaucher des seniors à la place de jeunes. Les travailleurs âgés sont souvent plus productifs et loyaux, car ils peuvent se concentrer pleinement sur leur travail. 

Cependant, si vous voulez travailler, vous pouvez occuper n'importe quel poste et travailler dans n'importe quel secteur. 

Quelles sont les pratiques espagnoles en matière d’égalité des genres et de diversité ? 

P.L : J’ai toujours pensé qu’un bon professionnel trouverait les meilleures opportunités. Cependant, les femmes de ma génération n’étaient pas formées pour négocier leur salaire, et les emplois qu’elles occupaient étaient souvent moins qualifiés que ceux des hommes. Aujourd’hui, l’écart salarial se réduit et devrait encore diminuer dans les années à venir. Cela dit, il reste important pour les femmes de développer leur réseau et de se faire connaître, au-delà d’être performantes dans leur travail. 

Le secteur du tourisme, du voyage et de l’hospitalité recrute-t-il ? 

P.L : Ce secteur, pilier de l’économie espagnole, manque cruellement de main-d’œuvre. Beaucoup d’Espagnols hésitent à y travailler, poussant les entreprises à recruter à l’étranger. Les entreprises doivent également repenser leur approche, car les jeunes générations recherchent des conditions et des opportunités qui ne sont pas toujours disponibles dans ce secteur. 

Je fais vraiment confiance à la nouvelle génération pour changer les choses. Mieux informée, plus instruite, elle craint moins de dire la vérité et de dénoncer ce qui ne fonctionne pas dans l'entreprise. Ces jeunes n'ont pas pour ambition d'évoluer hiérarchiquement dans l'entreprise, pour devenir directeur ou directrice dans dix ans ! Ils veulent expérimenter les choses rapidement, parce qu'ils vivent dans un monde technologique où tout est « tout de suite ». 

Quelle est votre vision de l’avenir du travail en Espagne ? 

P.L : Les dirigeants espagnols doivent revoir complètement leur manière de gérer leurs équipes. En adaptant leur leadership, ils attireront et fidéliseront les meilleurs talents. L’avenir du travail repose sur cette transformation profonde.