« Pour les neuroatypiques, la vraie urgence concerne le monde du travail »
France Travail s’associe à Autypik, une plateforme de recrutement et de formation dédiée aux personnes neuro-atypiques. Objectif : faciliter leur inclusion sur le marché du travail.
Les chiffres sont sans appel. Plus des trois quarts des personnes autistes sont sans emploi – les associations évaluent même le taux de chômage à 95% au sein de cette population. Mais pour Mara Staub, 27 ans, pas question de se résigner. Cette graphiste de formation, elle-même diagnostiquée sur le spectre autistique s’est donné une mission : accompagner les milliers d’actifs neuroatypiques1 qui peinent à intégrer le marché du travail alors qu’ils sont en mesure d’occuper des emplois. Pour cela, elle a développé une plateforme qui facilite la mise en relation avec les entreprises. Une démarche que France Travail a choisi d’accompagner, comme le détaille de son côté Caroline Dekerle, responsable du programme handicap.
1 Personnes présentant des troubles neuro développementaux incluant l’autisme, les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et différents Troubles Spécifiques du Langage et des Apprentissages (TSLA) appelés communément « troubles dys », dont la dyslexie, la dysorthographie ou la dysphasie.
Comment avez-vous eu l’idée de créer Autypik ?
Mara Staub : En 2020, un an après avoir reçu un diagnostic d’autisme et de TDAH (Trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité), j’ai entrepris des recherches sur le sujet. Je me suis reconnue dans plusieurs témoignages de personnes neuro-atypiques, constatant que la vraie urgence concernait le monde du travail. En France, 1,6 million d’entre eux sont concernés par l’emploi en milieu ordinaire mais ils en sont souvent exclus, à cause de préjugés ou de processus de recrutement inadaptés. Face à ce constat alarmant, j’ai décidé d’agir. Autypik est née ainsi, de ma volonté de révéler le potentiel des neuro-atypiques et de ma détermination à faire bouger les lignes du recrutement inclusif.
Les candidats ne déposent pas un CV classique
Comment votre service fonctionne-t-il ?
M.S. : Nous avons construit un parcours en trois étapes qui répond aux besoins spécifiques des candidats et des entreprises souhaitant diversifier leurs talents. Il y a d’abord un volet apprentissage : nous sensibilisons et formons les collaborateurs, les managers et les services RH afin qu’ils adaptent leurs pratiques de recrutement. Les entreprises formées publient ensuite leurs offres d’emploi sur la plateforme. Cette partie job board casse les codes traditionnels : les candidats ne déposent pas un CV classique mais remplissent un profil adapté à leur singularité. Quant aux entreprises, elles y proposent des offres d’emploi au format neuro-inclusif, extrêmement détaillées et précises. Enfin, nous assurons un accompagnement post-recrutement, avec cinq rendez-vous la première année. Ces entretiens entre la nouvelle recrue, son manager et l’un de nos coachs permettent de s’assurer que l’intégration se passe bien.
Pour que cela fonctionne, il faut donc que chacun joue carte sur table…
M.S. : Le principe de transparence est capital. Quand ils créent leur profil sur la plateforme, les candidats mentionnent leur diagnostic, décrivent leurs spécificités sensorielles, cognitives et sociales, détaillent leurs besoins concernant leur environnement de travail ou l’aménagement des horaires. Cette approche leur permet de mettre en avant leurs forces et de valoriser leurs différences. De leur côté, les entreprises jouent elles aussi le jeu : les offres sont très détaillées, on y trouve des photos des équipes, des bureaux et des fiches de postes approfondies avec, par exemple, un emploi du temps type, les étapes de la prise de fonction… L’idée est de permettre aux candidats de se projeter, sans pièges, ni surprises.
« Le potentiel des personnes neuro-atypiques n’est plus à démontrer »
Caroline Dekerle, directrice du programme handicap chez France Travail, détaille l’engagement de l’organisation aux côté d’Autypik :
« France Travail a toujours eu la volonté d’accompagner et de soutenir les initiatives volontaristes en faveur de l’emploi des travailleurs en situation de handicap. Autypik présente l’intérêt d’avoir une véritable expertise en matière d’emploi des personnes neuro-atypiques. Nous avons entamé des travaux pour développer nos synergies. D’ores et déjà, Mara Staub et ses équipes ont proposé à des conseillers de l’agence de Vernon (Eure) de tester une formation pour les sensibiliser à l’accompagnement des personnes neuro-atypiques.
Nous travaillons également à proposer à la communauté d’Autypik la nouvelle fonctionnalité “sourcing inclusif” qui permet, sur francetravail.fr, de rapprocher les employeurs engagés et les candidats en situation de handicap, notamment invisible.
Le potentiel des personnes neuro-atypiques n’est plus à démontrer ; il s’agit d’aider les employeurs à identifier ces talents et à leur proposer un environnement professionnel adapté ».
Nous masquons nos différences, nous donnons le change
Quels résultats avez-vous déjà obtenus ?
M.S. : Nous avons dépassé les 1 000 inscrits sur la plateforme et comptons une dizaine de clients tels qu’Ubisoft à Bordeaux, Coopérative U ou des PME comme Fulll [voir témoignage ci-dessous] et Ntico. Quatre recrutements ont été finalisés à des postes variés, en communication, développement web et modélisation 3D. D’autres sont dans les tuyaux. D’ici 2028, nous ambitionnons de collaborer avec 130 entreprises et de réaliser plus de 500 recrutements, tout en développant une équipe interne de dix salariés. Une levée de fonds est en cours pour nous permettre d’accélérer cette croissance.
La neuro-atypie est reconnue comme un handicap invisible. Comment mieux la faire accepter dans le monde du travail et lever les freins ?
M.S. : Il faut combattre la méconnaissance et les préjugés qui entoure les neuro-atypiques. Il y a autant de formes d’autisme que d’autistes, c’est un monde complexe, qu’il faut apprendre à connaitre. Parce que leur cerveau réagit différemment, les personnes neuro-atypiques sont souvent confrontées à la sur-adaptation, au burn-out et à la fatigabilité. En entretien d’embauche ou au quotidien, nous masquons nos différences, nous donnons le change, nous taisons nos besoins et nous finissons par nous écrouler. Tout cela est épuisant et peut parfois nécessiter des adaptations dans le cadre professionnel : des besoins en télétravail supérieurs, des bureaux séparés, des contrats à temps partiels entre 20h et 25h par semaine, des horaires aménagées, des temps de pause…. Le parcours éclectique des neuro-atypiques est souvent mal perçu car il peut sembler décousu : une personne autiste peut avoir changé d’orientations plusieurs fois durant ses études, elle peut avoir enchainé plusieurs emplois, sans cohérence entre eux et avoir des trous dans son parcours. Un CV classique ne valorise pas du tout ce genre de parcours, il a même tendance à les déconsidérer. C’est contre toutes ces formes de biais qu’il faut lutter si l’on veut améliorer la situation et rattraper notre retard par rapport à d’autres pays.
Vous avez noué un partenariat avec France Travail. Comment œuvrez-vous ensemble ?
M.S. : Dès le début, cela sonnait comme une évidence. Notre objectif d’inclusion est commun. Nous réfléchissons à la meilleure manière d’accompagner et d’accueillir les demandeurs d’emploi neuro-atypiques, avec une approche à la fois locale et nationale. Notre collaboration a commencé début 2025 avec la sensibilisation des conseillers de l’agence de Vernon. Elle va se poursuivre avec une conférence de sensibilisation prévue le 6 mai à l’Université du Management, puis une présence commune au festival Uniques le 17 mai. Entre initiatives sur le terrain et communication, nous construisons ensemble des passerelles durables entre les talents neuro-atypiques et le monde du travail.
« Une solution pour diversifier nos recrutements »
En 2024, Full, éditeur de logiciels, a intégré deux salariés sur le spectre de l’autisme.
« Le projet de Mara Staub nous a convaincu. Nous voulions expérimenter une nouvelle solution pour diversifier nos recrutements et être plus inclusif », explique Joëlle Catheland, directrice des ressources humains. Pour cela, l’entreprise lyonnaise s’est mise en ordre de marche, commençant par la sensibilisation des collaborateurs puis la formation de l’équipe RH et de tous les managers.
« Une fois les équipes embarquées, nous avons adapté et travaillé les procédures de recrutement. Pour les offres d’emploi, nous avons par exemple joint une vidéo montrant le trajet de la porte d’entrée au bureau du futur candidat. Tous les détails éliminant le stress comptent ». Certes, l’exercice est plus chronophage que d’ordinaire, toutefois « le temps consacré aux démarches de départ est vite rattrapé grâce à la qualité du parcours proposé par Autypik », affirme Joëlle Catheland qui prévoit de recruter un nouveau profil neuro-atypique dès juillet 2025.
Autypik, en quelques images
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Un événement co-organisé par France Travail et Diversidays