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« Vitamine T organise, avec France Travail, de nombreuses immersions »
Vitamine T, un groupe pionnier de l’insertion par l’activité économique, est engagé depuis 1978 dans l’inclusion des personnes éloignées de l’emploi. Une mission menée en étroite coopération avec France Travail, comme le détaille pour nous André Dupon, son président. Interview.
Quel est le contexte de la création de Vitamine T ?
André Dupon : L’histoire de Vitamine T (T comme travail), reflète celle des quarante dernières années en France, et en particulier la montée en puissance du chômage de longue durée et de l’exclusion. Elle débute en 1978, sous l’impulsion de Pierre de Saintignon. Vitamine T est né sur les ruines de la désindustrialisation dans la région appelée à l’époque Nord-Pas-de-Calais. Nous avons lancé une première action à destination des jeunes de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qui devaient quitter leur foyer à 18 ans et un jour et ne trouvaient pas de travail.
Peu à peu, nous avons élaboré une vision commune avec les entreprises familiales que j’appelle « le CAC 40 du Nord », ainsi que des éducateurs, des psychologues, des philosophes. Nous avons émis l’idée de créer des entreprises avec un impact social fort, pour aider les jeunes et tous ceux qui sont restés sur le carreau après l’affaiblissement progressif des secteurs de la sidérurgie, du charbon, du textile… C’est l’une des premières fois en France que nous pouvions allier intérêt général et économie de marché.
Comment vos publics ont-ils évolué au cours du temps ?
A.D. : Au début, nous nous sommes dédiés aux jeunes de l’ASE, d’autant qu’ils rencontraient de nombreuses difficultés. Ainsi, dans notre pays, 60% d’entre eux voient leur enfant placé et un sans domicile fixe sur trois est un ancien de l’ASE. Puis, on a vu arriver des seniors du secteur de l’industrie. Aujourd’hui, nous accueillons des migrants (on compte 26 nationalités chez Vitamine T), des femmes seules confrontées à une série de problématiques (mobilité, garde d’enfant…) et de plus en plus de personnes issues du secteur rural. On assiste à une véritable fracture territoriale, un sujet qui me préoccupe autant, si ce n’est plus, que la fracture sociale, et qui conduit à des situations personnelles dramatiques.
L’ensemble de ces publics constitue le noyau dur du chômage, avec des besoins de soutien simultanés pour régler les urgences sociales et bénéficier d’apprentissages professionnels. Chez Vitamine T, nous avons une formule à destination de nos publics : « Ramenez votre sac à dos. » Nous offrons du temps pour respecter leur « étincelle ». Ces personnes sont, en effet, le plus souvent résignées, sans projet. Elles requièrent un accompagnement intensif et sur mesure jusqu’au déclic qui les remettra en mouvement.
Entre les publics que nous accueillons et le monde du travail, il y a un abîme.
Comment expliquer que Vitamine T soit devenu le leader de l’inclusion en France ?
A.D. : Le modèle a rencontré une franche réussite en région Hauts-de-France même s’il a, depuis, essaimé ailleurs. Notre croissance est liée à une empathie et une implication des entreprises de la région qui a boosté la création de nouvelles entités chez Vitamine T. Dans les années 2000, nous avons accédé à une certaine maturité. Puis, nous nous sommes lancés très tôt dans les activités de recyclage des déchets, qui se distinguent par de forts volumes de chiffre d’affaires et de nombreuses créations d’emplois.
Enfin, le troisième pilier de notre développement repose sur un engagement pérenne des politiques publiques. Il en va, de fait, de l’intérêt général. En effet, la majorité des personnes en insertion qui se présentent chez nous perçoivent le RSA. Ce n’est plus le cas lorsqu’elles sont employées par l’une de nos 33 structures, car elles reçoivent alors un salaire et paient des cotisations sociales.
Comment agissez-vous concrètement pour l’inclusion durable ?
A.D. : Entre les publics que nous accueillons et le monde du travail, il y a un abîme. Aussi, nous mettons à leur disposition de solides bataillons de conseillers sociaux pour les accompagner, mais aussi des encadrants techniques avec l’esprit du compagnonnage, une appétence à transmettre des savoir-faire. Et Vitamine T organise, avec France Travail, de nombreuses immersions.
Notre carnet d’adresses recense plus de 2 000 entreprises acceptant d’accueillir des personnes durant une ou deux semaines pour des travaux en plein air, dans la restauration, la boulangerie, la vente… Le sas que représente Vitamine T se révèle précieux pour les préparer à l’emploi, de même que l’appui de France Travail.
Les collaborations entre Vitamine T et France Travail s’apparentent aux deux bras d’un même corps.
Quels sont vos modes de collaboration avec France Travail ?
A.D. : France Travail, pour nous, c’est le cœur du réacteur. Et c’est, de loin, l’organisme avec lequel nous coopérons le plus. Les autres étant le CCAS, les foyers de jeunes travailleurs et ceux de l’aide sociale, ainsi que les centres d’hébergement d’urgence. Durant trente ans, les personnes adressées à Vitamine T pour entamer un parcours d’inclusion devaient faire l’objet d’un diagnostic et d’un accord préalable de l’ANPE puis Pôle emploi. Depuis une dizaine d’années, le dispositif est plus souple, mais toutes celles et ceux qui arrivent chez nous ont droit à un diagnostic partagé entre nos équipes.
Nous mettons en œuvre le plus souvent des binômes pour élaborer chaque parcours, avec un conseiller local France Travail et un conseiller en insertion sociale et professionnelle (CISP) Vitamine T. Nos relations sont gémellaires et consubstantielles tant nous travaillons main dans la main sur ce sujet, y compris avec le directeur régional Hauts-de-France de France Travail. Lorsque nos publics se sentent prêts à se lancer, après un parcours chez nous pendant un à trois ans, France Travail les aide à trouver une place dans les entreprises. Les collaborations entre Vitamine T et France Travail s’apparentent aux deux bras d’un même corps.
Comment conciliez-vous social et rentabilité ?
A.D. : Nous n’avons pas de pression de rentabilité auprès d’actionnaires car notre groupe appartient à une fondation qui détient 100% de ses parts. Nous appliquons par ailleurs un principe de frugalité avec une échelle des salaires entre un et dix et une gestion prudente, de « bon père de famille ». Nos 33 filiales remontent en consolidation vers la fondation, certaines d’entre elles étant des vaisseaux amiraux, dotés d’un très bon résultat. D’autres structures, moins solides, bénéficient de la solidarité et de la subsidiarité du groupe. Bien sûr, si les pertes sont permanentes, nous arrêtons l’activité.
Je pense aussi que notre réussite tient à quatre qualités distinctives : l’impact social et environnemental, la bienveillance, l’authenticité et la gouvernance, collective et désintéressée car bénévole. Concrètement, nous soutenons des structures qui méritent d’exister même si elles ne sont pas rentables. Nous laissons du temps aux personnes pour qu’elles puissent résoudre, avec l’aide de nos équipes, leurs urgences sociales (logement, santé, addictions), psychologiques (manque de confiance en soi, rapport au corps dégradé…), voire psychiatriques (de plus en plus de gens souffrent de troubles mentaux). À l’image de l’esprit des conseillers de France Travail, nos équipes sont persuadées que chaque personne est unique et que personne n’est au bout de son histoire.
Grâce à Dest1, programme 100% inclusion financé par l’État, nous allons vers des personnes là où elles se trouvent.
Quelles sont les réussites dont vous êtes le plus fier ?
A.D. : La plus belle réussite économique date de 2006, à l’époque où nous avons repris une friche industrielle et 130 salariés seniors en CDI pour créer une entreprise de traitement de déchets électroniques. C’est aujourd’hui la deuxième en France, qui continue à former des centaines de jeunes. C’est donc une entreprise sociale avec un impact environnemental, un impact industriel et une belle valeur ajoutée.
Le second projet que j’aimerais citer, c’est Dest1, créé avec Thibaut Guilluy alors au ministère du Travail. Grâce à ce programme 100% inclusion financé par l’État, nous allons vers des personnes là où elles se trouvent, sur un stade de foot, dans les quartiers prioritaires de la ville… Nous prenons le temps nécessaire pour les aider à reconstruire un parcours personnel. À date, nous avons soutenu 6 000 personnes avec Dest1.
Quels sont vos prochains projets ?
A.D. : Je souhaite augmenter considérablement les activités liées à l’économie circulaire qui va devenir, à mon avis, une industrie circulaire. En parallèle, avec France Travail, nous allons relever un défi social de taille : celui des bénéficiaires du RSA. Si l’on veut atteindre le plein emploi, il nous faut nous emparer du sujet. Nous voulons être un acteur industriel en aidant des milliers de personnes et donc, instaurer un accompagnement intensif avec France Travail comme partenaire.
Quelles politiques publiques faudrait-il mettre en place pour renforcer l’inclusion en France ?
A.D. : Je suggèrerais deux marges de progrès, la première étant la constance sur le temps long. Notre pays devrait considérer que les politiques de l’emploi ne sont pas des variables d’ajustement et qu’elles doivent être de long cours. La seconde repose sur l’accélération de l’individualisation de l’accompagnement, chez Vitamine T et chez France Travail.
Vitamine T en chiffres*
- 5 340 salariés répartis dans 33 filiales, du maraîchage à l’informatique en passant par les services et l’économie circulaire.
- 3 739 personnes accompagnées par nos programmes de remobilisation.
- Plus de 9 000 personnes accompagnées vers l’emploi, et 67% de sorties positives (CDD de plus de 6 mois ou formation qualifiante).
- 100 implantations réparties dans 4 régions en France (Hauts-de-France, Île-de-France, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté). Et depuis début 2023 au Bénin, à Cotonou.
- 150 M€ de ressources fin 2024.
*2023
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