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« Le recrutement est devenu une campagne de communication »

Christel de Foucault a été ingénieure commerciale dans les télécoms avant d’embrasser une carrière de recruteur et de finalement devenir une consultante RH reconnue et écoutée. Conférencière, auteure de deux ouvrages sur la recherche d’emploi, elle vient tout juste de sortir son nouveau livre écrit à quatre mains avec Hélène Ly, Recruteurs : 80 questions pour réussir vos entretiens.

Publié le  24/10/2019

 

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Vous travaillez dans le recrutement et le conseil en recherche d'emploi depuis de nombreuses années, quelles évolutions majeures du marché du travail avez-vous pu constater ?

Pour moi, le grand changement est arrivé avec les réseaux sociaux qui ont permis d’opérer un rééquilibrage des forces entre chercheurs d’emploi et recruteurs. Il y a encore quelques années, la notion de recruteur tout puissant était prégnante. Même si cela reste le cas, les réseaux sociaux changent la donne puisque chaque chercheur d’emploi est un éventuel influenceur pouvant porter préjudice à une entreprise qui le traiterait mal.

La notion de marque employeur peut tout changer. C’est grâce à ses hommes, dont elle fait des ambassadeurs, que l’entreprise attire, qu’elle recrute, qu’elle intègre, qu’elle fait évoluer, qu’elle fidélise. Et le premier contact entre une entreprise et un chercheur d’emploi se fait lors d’un recrutement. Aujourd’hui, je sens les entreprises qui recrutent de plus en plus craintives. Les grandes marques ont peur et les petites entreprises ne se rendent pas compte qu’elles devraient également faire attention parce que régionalement tout se sait très vite. Je pense que les recruteurs ne réalisent pas assez que le recrutement est devenu une campagne de communication.

Il y a un décalage important entre les grandes entreprises qui ont les moyens d’étudier les fonctionnements, de proposer ce que l’on appelle du marketing RH, et les TPE/PME. Je le vois sur le terrain. De nombreux dirigeants de petites entreprises discriminent sans en avoir conscience, sans aucune méchanceté. Il y a un véritable sujet de formation. Savoir écrire une annonce, mener un entretien, intégrer les nouveaux venus... Souvent, des patrons m’ont dit : « oui, mais de toute façon le candidat est parti hyper rapidement », et en analysant un peu, on se rend compte que le nouvel arrivant n’a pas été accueilli, que les anciens collègues allaient manger ensemble en le laissant de côté, etc. Une bonne intégration se joue parfois sur des toutes petites choses.

Les réseaux sociaux ont également fait évoluer le discours. Avant, il y avait beaucoup de critiques dirigées contre Pôle emploi. Maintenant, j’ai l’impression qu’elles se centrent sur les cabinets de recrutement et les recruteurs. C’est une population en souffrance. Quand j’ai quitté ce métier en 2009, ce bashing n’existait pas encore.
C’est aussi ce qui nous a poussé à écrire le livre avec Hélène Ly. C’était une manière de rééquilibrer les forces. Nous l’avons écrit à deux cerveaux, quatre mains. Je représentais les candidats et leur souffrance, et Hélène représentait les recruteurs et la leur.
 

Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, de la robotisation, nous n’allons plus chercher des gens qui ont su faire ou qui savent faire, mais des gens qui sauront faire et s’adapter.


Avez-vous également constaté une évolution dans les profils des personnes cherchant un emploi ?

Un constat est terrible. On repousse l’âge du départ à la retraite et, en même temps, on laisse de plus en plus de seniors sur le carreau. Ce n’est pas nouveau mais nous allons droit à la catastrophe si nous ne réussissons pas à capitaliser sur cette incroyable expérience des seniors. Pour des raisons de coût, nous sommes en train de perdre une très belle expertise et de mettre des gens en très grande difficulté. Il faut évangéliser les entreprises pour qu’elles arrêtent de se dire qu’un senior est quelqu’un qui ne vaut plus rien.

Il y a également une tendance forte à la prise en compte du capital humain, les soft skills, les compétences relationnelles… qui vont être de plus en plus demandées par les entreprises. Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, de la robotisation, nous n’allons plus chercher des gens qui ont su faire ou qui savent faire, mais des gens qui sauront faire et s’adapter. Ce constat peut rassurer les juniors qui arrivent sur le marché du travail, ceux qui sortent des cases, ceux qui n’ont pas de diplôme, parce que je pense que dans les années à venir les entreprises vont s’ouvrir aux profils plus atypiques mais qui ont ces fameuses soft skills.
 

Pour vous, l’impact des nouvelles technologies sur les entreprises valorise donc les soft skills ?

Oui, je pense que c’est paradoxalement un des effets qui va être positif. Avant on cherchait un bac +5, un Master 2, une expérience spécifique, il fallait rentrer dans des cases, on cherchait des clones… Les métiers sont en train d’éclater. On va avoir besoin de profils atypiques, capable de sortir du cadre, de prendre de la hauteur, d’amener un point de vue différent, et de s’adapter en permanence. Dans les années à venir les gens ne garderont pas leur métier.
Finalement, c’est une avancée technique et technologique qui va nous faire privilégier l’humain et ses qualités.
 

Les nouvelles générations sont en train de bouleverser certains codes de l’entreprise, observez-vous cette même influence dans le domaine de la recherche d’emploi ?

Aujourd’hui, les candidats recrutent les entreprises et leurs managers. Je crois que les nouvelles générations ont été sensibles aux difficultés rencontrées par leurs parents au chômage, etc. Elles recherchent des valeurs autour de la protection de l’environnement, du bien-être au travail…
Ma génération rentrait dans une entreprise pour y « mourir », pour y faire carrière. Les jeunes ne sont plus que de passage dans l’entreprise. Ils n’hésitent pas à la quitter pour aller faire un tour du monde ou vers une autre entreprise qui corresponde mieux à leurs valeurs. Ils ont complètement changé les codes.
 

Si j’ai participé à ce livre à destination des recruteurs, c’est avant tout pour défendre les chercheurs d’emploi.


Qu’est-ce qui vous a amené à écrire vos deux premiers livres ?

Tout d’abord, si je suis passée de recruteur à accompagnateur des chercheurs d’emploi, c’est que je me rendais compte que mon côté maternel influait sur mes entretiens. J’avais envie de donner des conseils aux candidats et c’est ce que je finissais par faire. Comme cela n’était pas obligatoirement bien vu, j’ai décidé de passer de l’autre côté. Je savais comment pensait un recruteur mais surtout j’avais eu une vie en entreprise et notamment une vie de commercial. J’ai appliqué les techniques de la vente à l’entretien de recrutement car ce sont des processus extrêmement similaires : le chercheur d’emploi à une offre de services à vendre à un recruteur – une entreprise qui a un besoin – et cela matche ou pas. Pour comprendre le besoin, il faut l’écouter. On ne vend pas la même chose à tout le monde de la même manière.

Dans mon cabinet d’outplacement, j’ai eu une très grande liberté d’action avec mon équipe. Nous avons tout testé pour aider les chercheurs d’emploi. Nous accompagnions plus de 1000 personnes en permanence. J’ai remarqué que la bienveillance était quelque chose d’important. Une personne qui a été licenciée, qui est au chômage, est en souffrance. Il faut l’aider à se reconstruire, qu’elle reprenne confiance en sa valeur.

Et puis, j’ai eu un accident de vie. Je me suis retrouvée paralysée des deux bras. J’ai eu une grave opération des épaules et je suis restée deux ans immobilisée chez moi. Un jour, j’étais allongée sur un canapé, un de mes enfants m’a mis un ordinateur sur les genoux et, avec des coussins sous les bras, je me suis rendue compte que je pouvais taper. Je n’allais pas écrire le livre de ma vie, alors je me suis attaquée au livre dont rêvaient mes chercheurs d’emploi.
Je voyais des gens blessés à qui il fallait des outils simples. Quand on est blessé, on réfléchit moins bien, on est moins percutant. J’ai donc écrit Déjouez les pièges des recruteurs. À la base, c’était censé être un polycopié que j’allais distribuer quand je reprendrais mon travail. Je l’ai envoyé à un seul éditeur, Eyrolles, qui a dit banco. C’est ainsi qu’est née l’aventure des livres.

Mon objectif était de rendre simples des notions présentées comme compliquées. J’ai pensé le deuxième avec des dessins (coécrit avec Benoît Pouydesseau) notamment pour les jeunes qui avaient du mal à entrer dans le premier livre. Après, je me suis servie des réseaux sociaux parce qu’il y avait des gens qui ne pouvaient pas les acheter. Je me suis alors demandée comment donner des conseils gratuitement. Et c’est comme ça qu’est née la chaîne YouTube du Grand Jeu de la recherche d’un Job (créée avec Pierre Brunon).
 

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce nouveau livre, cette fois pour les recruteurs ?

Ce projet part d’une commande spécifique d’Eyrolles. Ils ont fait une étude de marché auprès des entreprises pour savoir quel serait le livre RH qui pourrait leur convenir. Elles leur ont répondu qu’elles chercheraient un guide, un manuel, pour les aider à mieux poser les questions en entretien, donner une meilleure impression… De nombreux recruteurs sont plein de bonne volonté et sont fatigués de se faire tacler en permanence. Ce livre coécrit avec Hélène Ly s’adresse aux recruteurs débutants et à ceux dont ce n’est pas le métier premier mais qui participent à un processus de sélection.

Au final, si j’ai participé à ce livre à destination des recruteurs, c’est avant tout pour défendre les chercheurs d’emploi.

 

Recruteurs : 80 questions pour réussir vos entretiens, Hélène Ly & Christel de Foucault, Eyrolles

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