Louise Doulliet, Alia Guyot et Katia Tardy, créatrices de la nbiscuiterie Handi Gaspi, avec es agents de l'Esat de Savenay

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En Loire-Atlantique, un projet agroalimentaire inclusif

Au départ du projet d’Handi-Gaspi, cette biscuiterie inclusive et « anti-gaspi », il y a la rencontre de trois femmes, Alix, Louise et Katia, toutes trois ingénieures agroalimentaires. Katia décrit le constat autour duquel elles s’accordent : « on a toutes les trois travaillé pour des industriels français ou internationaux, dans l’industrie agroalimentaire, et on a pu se rendre compte que les schémas n’étaient pas les plus vertueux et que le gaspillage était une réalité au quotidien dans cet univers, et ce à tous les niveaux ».

Publié le  16/11/2022

Alors qu’elles cherchent toutes les trois à donner un nouveau sens à leur carrière, Alix, Louise et Katia se rencontrent dans une association, Handicap Travail Solidarité, qui œuvre pour l’emploi des personnes en situation de handicap, où elles sont recrutées pour porter un projet dans le domaine agroalimentaire. 

Elles font alors l’expérience de la collaboration avec des ESAT (établissements ou services d’aide par le travail), ces structures qui proposent aux personnes en situation de handicap une activité professionnelle et un soutien médico-social et éducatif.

Ce type de structure s’adresse à des personnes ayant besoin d’un accompagnement soutenu : celles pour lesquelles la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a constaté « une capacité de travail réduite », ainsi que « la nécessité d’un accompagnement médical, social et médico-social » (article L344-2 du Code de l’action sociale et des familles).

Les ESAT ont vocation à accueillir les personnes qui ne sont pas, ou pas encore, en capacité d’accéder au milieu professionnel ordinaire. 


 

Des ESAT en mal d’activité

Afin de valoriser ce dispositif adapté, faire connaître les ESAT auprès des personnes en situation de handicap faisait partie des objectifs de l’accord de partenariat signé entre Pôle emploi et APF France handicap, en 2018. Par ailleurs, fin 2020, dans un communiqué, l’Association des paralysés de France (APF) constatait que malgré un retour « à la normale » après le deuxième confinement, les ESAT avaient perdu 30 % de chiffre d’affaires par rapport à l’exercice 2019.


Un constat que fait aussi Katia Tardy, lors de son expérience chez Handicap Travail Solidarité, où elle est amenée à collaborer avec des ESAT : « nous étions confrontés au manque d’activité professionnelle pour les personnes en situation de handicap. Et ces structures ont tendance à être de moins en moins visibles. De façon assez transversale en France, elles sont en sous-activité et ne savent plus comment former les travailleurs handicapés. » Un phénomène qui s’est renforcé avec la crise sanitaire puisque « beaucoup d’industriels qui, avant le covid, faisaient appel aux ESAT, ont ré-internalisé leurs activités, ou les ont transférées vers les pays de l’Est, pour des raisons purement économiques ».

Face à ces constats, en 2021, les trois amies créent la biscuiterie Handi-Gaspi et la marque Kignon ; comme les quignons souvent mis au rebut, et que l’entreprise récupère auprès de boulangeries, pour les utiliser dans la production de ses biscuits. Un projet durable et social puisque les biscuits sont bio, avec un processus de production basé sur le principe des circuits courts et de la chasse au gaspillage. 

Dans un premier temps, la société accueille des travailleurs venus d’ESAT dans un local extérieur, mais ses gérantes se rendent compte que cette solution a le défaut de n’impliquer que les travailleurs les plus autonomes. Dans un souci de renforcer la dimension inclusive du projet et que « tous ceux qui ont envie de se former en biscuiterie puissent le faire », Handi-Gaspi décide alors de travailler avec l’ESAT de La Soubretière, à Savenay (44), au sein de l’association Cap’lan (Coopération d’Accompagnement Publique du Handicap en Loire-Atlantique Nord), un ensemble de structures publiques dédiées au handicap. Les personnes accompagnées par cet ESAT sont touchés d’une déficience intellectuelle, de troubles psychiques ou encore de troubles autistiques.

Le timing est particulièrement bon, puisque l’ESAT de La Soubretière vient de faire l’acquisition de locaux adaptés au conditionnement de produits alimentaires et cosmétiques, afin de pouvoir continuer à répondre aux demandes de leurs clients, dans le respect des normes sanitaires. Après une phase de connaissance mutuelle entre les deux structures et l’apport par Handi-Gaspi du matériel nécessaire, la collaboration peut démarrer.

C’est donc au sein de l’atelier « sous-traitance » que cette activité de conditionnement va être menée. Aussi, trente personnes ont été formées, et en se relayant, une douzaine travaille simultanément pour produire les biscuits Kignon.

 

 

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Le besoin de sens au travail, c’est pour tout le monde

Parmi les ESAT, on trouve une diversité d’activités mais aussi de modes d’inscription dans le monde du travail. Si certains réalisent des prestations de services directement auprès du client final, une grande part de l’activité se fait dans le cadre de la sous-traitance.

En 2019, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF) relevait le fait que « certains segments traditionnels de sous-traitance industrielle sur lesquels se positionnaient historiquement les ESAT sont aujourd’hui en déclin », et notamment « des activités de conditionnement, cœur d’activité historique des ESAT » (qui représentait environ 44 % de l’activité des ESAT en 2009).

Au-delà du cadre de l’achat d’une prestation, Handi-Gaspi s’efforce de créer un lien de proximité. Cela passe d’une part par une régularité dans les échanges, qui ne se limite pas à des relations téléphoniques ou par mail, mais aussi par le fait que l’ensemble du processus de production est confié aux travailleurs/usagers de l’ESAT. Luc Quilmer, coordinateur d’un atelier « sous-traitance » au sein de l’ESAT, explique en quoi cette activité est plus étendue que d’autres : « c’est vrai qu’on est souvent sur une activité de conditionnement. On reçoit des sacs de 25 kilos ou d’une tonne que l’on conditionne dans de plus petits sachets, et ça repart chez le client ».

Aussi, comme pour tout travailleur, en ESAT, la diversité des tâches participe fortement de l’intérêt de l’activité et donc de sa contribution à l’épanouissement des personnes. Le coordinateur explique : « ce qui est intéressant avec Handi-Gaspi pour les travailleurs, c’est de réceptionner la matière première et de voir la chaîne complète. Depuis la réception de la marchandise jusqu’à l’expédition des biscuits. Ils voient vraiment la chaîne de A à Z ». 

Le projet s’appuie sur la logique de circuit court pour inclure des tâches de livraison dans quelques magasins, « dans un rayon de 50 ou 60 kilomètres autour de Savenay », avec de « petits camions de livraison ». De plus, une activité de e-commerce sera prochainement prise en charge par l’ESAT.

Le coordinateur évoque les personnes ayant la capacité de travailler sur cette activité, parmi les trente-deux travailleurs accompagnés dans cet atelier : « ce sont des personnes pour qui travailler sur les biscuits ne pose pas de souci. Le trouble est ailleurs, ils ont des aptitudes, et on s’adapte en fonction des postes. À la pesée, on va mettre des personnes qui n’ont pas de problème pour se concentrer. Et en ce qui concerne le conditionnement des sachets, qui demande parfois moins d’analyse, les personnes ayant plus de difficultés vont pouvoir y participer. »

Avec les encadrants, les travailleurs sont accompagnés en fonction de leurs capacités, pour éviter toute mise en situation de difficulté ou d’échec.


 

Une relation de proximité

La collaboration est favorisée par une proximité dans la relation entre les deux entités, avec des visites régulières de la part des trois co-fondatrices de l’entreprise. « Un lien s’est créé entre elles et les travailleurs », constate Luc Quilmer. 

Andreas, âgé de 23 ans, travaille dans l’ESAT depuis 2019, et depuis quelques mois sur l’activité qui valorise les invendus de pain des boulangers nantais. Il raconte : « je fais du conditionnement, du broyage de pain, j’utilise la machine à dresser pour faire des biscuits, et la pesée des ingrédients également. » Il alterne avec des activités pour d’autres entreprises de l’agro-alimentaire.

Grégoire a quant à lui 29 ans et travaille au sein de l’ESAT depuis 2019. Il se rappelle sa surprise quand on lui a présenté la nouvelle activité de production pour Kignon : « j’étais surpris de la nouvelle clientèle qu’on allait avoir. Je ne me voyais pas faire de la cuisine. Mais suite à plusieurs expériences qui se sont bien passées, j’ai commencé à aimer et à voir le bon côté des choses de travailler avec eux. Parce que ça nous permet aussi de découvrir une nouvelle organisation. » Par ailleurs, il a le projet professionnel de travailler dans la logistique, et se réjouit de l’expérience que lui apporte le travail pour les biscuits Kignon.

Les deux structures travaillent actuellement à la rédaction d’un contrat de partenariat, afin de sécuriser les deux parties et de répondre à leurs attentes mutuelles, leur permettant de se projeter sur plusieurs années.

Pour la suite, Handi-Gaspi a l’ambition d’essaimer ce modèle sur d’autres territoires de l’hexagone. De quoi sans doute inspirer d’autres initiatives en faveur d’un monde du travail plus inclusif.
 

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