« L’accessibilité numérique joue un rôle essentiel dans l’intégration et le maintien dans l’emploi »

Qu’est-ce que l’accessibilité numérique ?

Philippe Trotin : L’accessibilité numérique revient à concevoir des solutions avec et pour les personnes en situation de handicap afin de répondre à leurs besoins spécifiques. Mais ces solutions profitent à tous. Un environnement numérique plus accessible simplifie l’usage pour tout le monde. 

Quel regard portez-vous sur l’accessibilité numérique aujourd’hui, notamment dans le monde du travail ? 

P. T. : L’accessibilité numérique devient indispensable. Avec la généralisation des outils numériques dans tous les secteurs, il est crucial que ces solutions soient accessibles à tous. Un site web ou une plateforme inaccessible envoie un signal négatif aux candidats en situation de handicap, réduisant leurs opportunités d’emploi. Dans le processus de formation et d’intégration, les entreprises doivent aussi veiller à ce que leurs outils internes soient inclusifs.  
Il y a également un enjeu business : avec 16 % des actifs en situation de handicap en France, rendre ses services accessibles représente une véritable opportunité de marché.

Quels sont les principaux progrès en matière d’accessibilité numérique ? 

P. T. : Ce qui est intéressant, c’est que de plus en plus de solutions sont désormais intégrées directement aux ordinateurs et aux téléphones. Tous les grands éditeurs, comme Apple ou Microsoft, développent des fonctionnalités natives pour améliorer l’accessibilité. Par exemple, sur iPhone, de nombreux outils permettent aux personnes non-voyantes de naviguer facilement. Côté Microsoft, nous avons intégré dans Windows des options comme la loupe numérique, le réglage des couleurs pour les personnes daltoniennes ou encore le sous-titrage automatique et la dictée vocale. Ces avancées, souvent propulsées par l’intelligence artificielle (IA), ont transformé l’accessibilité numérique. 

Un domaine qui a particulièrement évolué, c’est l’interaction vocale. La dictée vocale, les sous-titres automatiques pour les personnes malentendantes ou encore la lecture des contenus pour les personnes dyslexiques. 

Comment se former pour intégrer l’accessibilité numérique ? 

P. T. : La formation est un enjeu clé. L’an dernier, j’ai formé plus de 11 000 personnes de façon directe grâce à 102 interventions !  

Aussi, Microsoft organise des sessions en partenariat avec l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et les opérateurs de compétences (Opco) Atlas. Nous avons conçu des formations gratuites sur l’emploi et l’accessibilité numérique, disponibles sur le site de l’Agefiph en partenariat avec le service ministériel chargé du numérique (Dinum). 

Je collabore également avec le groupe du Manifeste inclusion, une initiative lancée à l’origine par Sophie Cluzel lorsqu’elle était au secrétariat d’État au handicap. Nous y animons un groupe de travail dédié à l’accessibilité numérique. Récemment, nous avons publié un guide d’une soixantaine de pages, disponible sur le site du Manifeste inclusion. Ce document couvre de nombreux aspects de l’accessibilité numérique et constitue une ressource précieuse pour les entreprises et les professionnels souhaitant s’engager sur ces questions. 

Quel est l’impact direct sur l’employabilité ? 

P. T. : L’accessibilité numérique joue un rôle essentiel dans l’intégration et le maintien dans l’emploi. Un outil inaccessible met immédiatement un salarié en échec. Rendre un environnement accessible, c’est garantir l’équité et permettre aux talents de s’exprimer. Grâce à des outils adaptés, un manager chez Microsoft a par exemple pu continuer à travailler malgré une perte de vision temporaire. 

Quels sont les nouveaux métiers de l’accessibilité ?

P. T. : Aujourd’hui, de nouveaux profils émergent : référents accessibilité numérique, testeurs et auditeurs, développeurs spécialisés, UX/UI designers intégrant les besoins d’inclusion... En quelques années, toutes les grandes entreprises se sont dotées de référents sur ce sujet. Quand j’ai commencé chez Microsoft en France, il n’y avait pratiquement aucun référent accessibilité dans les entreprises. Désormais, presque toutes les grandes structures en ont un. 

Enfin, l’IA a ouvert de nouvelles perspectives en matière d’accessibilité. De nombreux spécialistes travaillent sur ces technologies pour améliorer encore l’inclusion numérique. 

En quoi l’IA est-elle un accélérateur d’inclusion ? 

P. T. : L’IA compense des difficultés : reconnaissance d’objets pour les personnes non voyantes, synthèse vocale pour les malentendants, correction automatique pour les dysorthographiques. L’IA générative simplifie aussi les contenus pour les rendre plus accessibles aux personnes souffrant de troubles cognitifs. 

Je suis moi-même dysorthographique et j’utilise l’IA tous les jours pour vérifier et reformuler mes textes. Ça change ma façon de travailler. 

En quoi le Calendrier de l’IA mis en place par France Travail, Microsoft et Kokoroe constitue-t-il une avancée pour l’accessibilité et l’emploi ? 

P. T. : Ce qui est essentiel, c’est de pouvoir passer à l’échelle. J’ai beau animer beaucoup d’événements, le nombre de personnes que je peux toucher directement reste limité. Le Calendrier de l’IA permet justement de diffuser l’information de manière massive et accessible à tous. 

Grâce à son format microlearning, il rend l’apprentissage de l’IA progressif et interactif. L’idée est d’aider les gens à comprendre comment utiliser l’IA au quotidien : que ce soit pour adapter un document, rédiger un bon prompt, améliorer un CV, une lettre de motivation ou encore rechercher efficacement des informations sur une entreprise. 

Comment encourager les entreprises à agir ? 

P. T. : La première étape, c’est la sensibilisation. On ne peut pas simplement décider de se former ou de lancer un audit d’accessibilité sans comprendre l’ensemble des enjeux. L’accessibilité numérique ne se limite pas aux sites web et aux outils numériques : elle concerne aussi la communication, la création de documents, de vidéos, de présentations… 

J’ai vu des agences spécialisées en communication qui n’avaient pas encore intégré ces bonnes pratiques et qui cherchaient justement à se former. Cela montre bien que même des experts du domaine ont encore besoin d’accompagnement sur ces sujets. 

Mais au-delà de la sensibilisation, il y a aussi un cadre réglementaire à prendre en compte. L’European Accessibility Act impose aux organisations de se rendre accessibles et de respecter des obligations légales, avec l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) qui veillent à leur application.

Quels sont les défis de demain ? 

P. T. : Parmi les enjeux à relever : mieux former les professionnels et démocratiser l’usage des solutions existantes. Trop d’outils d’accessibilité sont méconnus. Il faut aussi que l’école devienne plus inclusive, car l’éducation est la clé d’une société accessible !