Une femme dans un métier encore peu féminisé : interview de Zahia Ziouani, cheffe d'orchestre

Comment êtes-vous devenue cheffe d'orchestre ?

Lorsque j'étais enfant, mes parents écoutaient beaucoup de musique classique et je me suis inscrite au conservatoire pour pratiquer un instrument.
Après la guitare classique, j'ai souhaité intégrer un orchestre symphonique. J'ai choisi l'alto, un instrument placé au centre, face au chef d'orchestre.
J'ai rapidement été fascinée par ce métier. Après m'être beaucoup documentée pour savoir comment devenir cheffe d'orchestre, j'en ai parlé à mes professeurs. Même si certains étaient bienveillants, la majorité m'affirmait que chef d’orchestre n’était pas une profession pour les femmes et me conseillait de me concentrer sur mes études d’instrumentiste.
Cela n'a pas été évident de me projeter car je ne voyais pas de profil de femmes auquel m’identifier. Puis, j’ai eu l’occasion de rencontrer un grand maître dans la direction d’orchestre, Sergiù Celibidache. Au regard de mes prédispositions, il m'a encouragée à poursuivre mon projet, tout en me prévenant qu'aucune femme n'avait tenu plus de 15 jours dans sa classe, mais j'ai tenu bon !

Comment avez-vous réussi à trouver votre place dans ce métier ?

C’est en me démarquant, lorsque j'ai créé mon propre orchestre, l'orchestre symphonique Divertimento, que j'ai trouvé ma place. Cet orchestre symphonique fait le lien entre la musique classique occidentale et les autres musiques du monde. A travers lui, il s'agissait aussi d'implanter la musique classique là où elle n'est pas présente, c'est-à-dire dans les quartiers populaires et les zones rurales. Enfin, ce projet a été l'occasion d'utiliser la musique comme un outil éducatif. Pour les jeunes, jouer dans un orchestre apprend à respecter des règles, prendre des initiatives, écouter les consignes, se positionner dans un groupe, être à l'écoute des autres, développer sa concentration et son autonomie. C'est aussi ce qu’on attend dans le milieu du travail. Je crois qu'être une femme m’a finalement amenée à être plus innovante, créative, persévérante, à dépasser mes limites et surtout à ne pas m’installer dans ma zone de confort.

Comment évolue votre métier en termes de mixité ?

On l'a vu, dans ce milieu, il existe peu de mixité femmes/hommes et plus généralement, très peu de mixité sociale et culturelle.
La place de l’autorité, représentée par le chef d’orchestre, est depuis longtemps incarnée par des hommes en deuxième partie de carrière. Et il y a encore 20 ans, les femmes étaient interdites dans certains orchestres symphoniques en Europe. Aujourd'hui encore, aucune femme n'est nommée à la tête d’orchestres nationaux en France et les décideurs institutionnels dans la musique classique sont majoritairement des hommes.
De même, les musiciennes solistes sont sous-représentées. Dans les classes de flûte, par exemple, on retrouve essentiellement des femmes, mais dans les orchestres nationaux, les flûtistes sont majoritairement des hommes.

Aujourd’hui, vous dirigez aussi une école pour former de jeunes musiciens. Comment faites-vous pour donner les mêmes chances de réussir aux filles comme aux garçons ?

Dans le cadre de mon académie, j’ai un rôle pédagogique vis-à-vis de ces jeunes et je participe à leur construction. J'essaye vraiment de laisser leurs envies s’exprimer et je tiens à ce qu'ils choisissent leur instrument sans rester sur des schémas anciens.
J’invite le public à regarder ce qu’ils sont capables de faire, de prendre conscience de leurs qualités, leurs talents et à leur faire plus confiance, peu importe qu'ils soient fille ou garçon.
En tant que cheffe d’orchestre, mon objectif est bien sûr de valoriser la place des femmes et de les laisser s’exprimer dans l'orchestre, car selon moi, les femmes apportent une ouverture d’esprit et une souplesse sur lesquelles les hommes peuvent s’appuyer.
C'est pourquoi la mixité est si importante, car c'est elle qui soude un groupe et lui apporte un équilibre.

Vous intervenez régulièrement en entreprise pour partager votre expérience. Quels conseils proposez-vous ?

Je les invite à laisser une place à l’audace, à la créativité et à l’innovation. Pour les décideurs, c’est choisir d’être ouverts à des profils différents, atypiques et de leur laisser la place au sein du contexte professionnel.
Pour les salariés, je leur conseille de ne pas trop s’installer dans une zone de confort, en restant dans leur train-train quotidien. Avoir un coup d’avance et être dans une recherche permanente est une clef de réussite pour avancer dans ses propres projets.
Enfin, j’invite plus particulièrement les femmes à se faire confiance et je les encourage à être ambitieuses. Si on ne vous donne pas la place, prenez-la !